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La liberté de l’enseignement


Aucun texte national n’en fait état : CC, 23/11/1977 lui a conféré valeur constitutionnelle (Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR) ). Il a réaffirmé sa position en 1994 (révision de la loi Falloux), et le 9/7/1999. Cette liberté est consacrée par des textes internationaux : le protocole 7 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) (article 26), et le pacte de New York.

La liberté de l’enseignement public

Aucun principe de liberté d’enseignement n’est expressément consacré par la constitution, mais le préambule de 1946 énonce que « l’organisation de l’enseignement public, gratuit et laïc est un devoir de l’Etat », et l’article 34 de la constitution réserve au législateur la détermination des principes fondamentaux de l’enseignement.

L’obligation scolaire et la gratuité de l’enseignement

L’obligation scolaire

L’obligation scolaire concerne les enfant de 6 à 16 ans. Dans ce cadre, les parents peuvent confier l’éducation de leurs enfants à un établissement public ou privé, à un percepteur privé, ou assurer eux-mêmes l’enseignement. L’Etat exerce un contrôle sur cette obligation scolaire : si l’obligation est méconnue, des sanctions sont prévues (suppression des allocations familiales, poursuites judiciaires).

La gratuité de l’enseignement

C’est le corollaire de son caractère obligatoire. Ce principe remonte à la loi du 16/6/1881 pour l’enseignement primaire, et à la loi du 15/3/1931 pour l’enseignement secondaire. Il a une valeur constitutionnelle : il est contenu dans le préambule de 1946, et le CC lui a reconnu une telle valeur en 1985. L’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur ne sont pas toujours gratuits.

La laïcité de l’enseignement

La consécration du principe

La laïcité était rattachée à l’obligation scolaire : l’école étant obligatoire pour tous, elle ne devait pas divulguer d’enseignement religieux. La loi du 28/3/1882 a donc remplacé dans le programme des écoles primaires l’instruction religieuse par une instruction civique, et décidé que les cours vaqueront un jour par semaine pour permettre aux enfants de recevoir un enseignement religieux.

La laïcité des enseignements secondaire et supérieur découle indirectement de la laïcité de l’Etat, notamment de la loi de 1905, du préambule de 1946, de la constitution de 1958 (art.2 : la France est une République laïque), et de la loi Debré du 31/12/1959 prévoyant l’aide de l’Etat aux établissements privés.

Les conséquences du principe

La neutralité de l’enseignement public s’impose aux enseignements et enseignants, à l’exception de ceux du supérieur (tenus à des impératifs d’objectivité et de tolérance).

  • Pour l’enseignement : aucune doctrine religieuse ne doit être enseignée, ni aucune prise de position idéologique susceptible de jeter le trouble dans l’esprit des élèves. Aujourd’hui, on se demande s’il ne faudrait pas introduire à l’école des cours de culture religieuse ou d’histoire des religions.
  • Pour les enseignants : ils ne doivent pas diffuser leurs opinions ou pensées. Le personnel enseignant a donc été laïcisé :
    • dans les écoles primaires par la loi du 30/10/1886.
    • dans le secondaire par CE, 1912 Abbé Gouter. Dans un avis de 1972, le CE admet tout de même que certaines fonctions soient confiées à des membres du clergé.
    • ce principe ne s’applique pas dans l’enseignement supérieur.
  • Pour les élèves : le problème de la compatibilité de la laïcité et de la liberté de conscience.

Les foulards islamiques. CE avis, 17/12/1989 : le principe de laïcité de l’enseignement public impose qu’il soit dispensé dans le respect de la neutralité par les enseignants et enseignements, et dans celui de la liberté de conscience des élèves, qui leur donne le droit de manifester leur croyance religieuse dans les établissements scolaires, y compris par le port de signes religieux. Toutefois, le comportement général des élèves ne doit pas porter atteinte aux activités d’enseignement, au contenu des programmes, ni à l’obligation d’assiduité ; et le port des signes religieux peut être interdit, lorsque cela constitue un acte de pression, provocation, prosélytisme ou propagande portant atteinte à la dignité ou la liberté des élèves et des autres membres de la communauté éducative, et perturbe les activités d’enseignement, trouble l’ordre public et le fonctionnement normal du SP.

Þ Les établissements ont été chargés de fixer, dans leur règlement intérieur, les modalités d’application de ces principes et limites ; la détermination des sanctions revenant aux responsables d’établissements.

CE, 2/11/1992 Kherouaa ; CE, 14/3/1994 Melle Yilmaz : une interdiction générale et absolue de tout signe religieux est nulle en ce qu’elle méconnaît la liberté d’expression reconnue en 1789.

La circulaire Bayrou du 20/9/1994 a estimé qu’il fallait admettre les signes discrets traduisant l’attachement des élèves à des considérations personnelles, mais que le port de signes ostentatoires constitutifs en eux-mêmes d’éléments de prosélytisme ou de discrimination, pouvait être interdit.

Les règlements intérieurs ont alors interdit le port du foulard comme un élément de prosélytisme ou de discrimination. Le CE a censuré cette interprétation, et a rejeté les recours contre la circulaire Bayrou, au motif qu’il s’agit d’une circulaire interprétative ne conférant aucun droit opposable aux administrés.

Þ Le CE a posé le droit pour les élèves de porter des signes d’appartenance religieuse, et a censuré les interdictions générales et absolues. Il a posé des limites à ce principe, tenant notamment à l’obligation d’assiduité scolaire, à l’obligation de sécurité et à l’obligation de maintien de l’ordre dans l’établissement (ex : CE, 10/3/1995 Aoukili, confirmé en 11/1996). La laïcité de l’enseignement public impose la neutralité des enseignements et enseignants, mais n’impose pas la neutralité pour les élèves.

  • Le problème de la compatibilité de l’obligation d’assiduité scolaire et des absences pour motif religieux.

CE, 14/4/1995 Koen : les élèves qui le demandent, peuvent bénéficier individuellement d’autorisations d’absences nécessaires à l’exercice de leur culte, à condition que ces absences soient compatibles avec l’accomplissement des taches inhérentes à leurs études et au respect de l’ordre public dans l’établissement.

Cette analyse vise à concilier l’obligation d’assiduité et la liberté religieuse dans le concept de laïcité de l’établissement : le CE remet au chef d’établissement le pouvoir d’apprécier la situation au cas par cas.

Þ La laïcité de l’enseignement n’est plus la méconnaissance des religieux par les établissements scolaires, mais leur reconnaissance sous certaines conditions et limites que le CE a affiné depuis 1989.

La liberté de l’enseignement privé

La reconnaissance progressive de la liberté et de l’aide à l’enseignement privé

Après le quasi-monopole de l’Eglise sous l’Ancien Régime, puis celui de l’Etat sous Napoléon, la liberté d’enseignement a été progressivement consacrée. La loi Guizot du 28/6/1833 a autorisé l’ouverture d’écoles primaires privées sous réserve d’un minimum de capacité de l’intéressé et de bonne moralité ; la loi Falloux de 1850 l’a permis dans le secondaire ; la loi Dupanloup de 1875 l’a permis pour le supérieur.

Cette liberté a ensuite été limitée par plusieurs lois : une loi de 1880 institue un monopole de l’Etat pour la collation des grades ; une loi de 1882 énonce le principe de laïcité de l’école.

Cette liberté était à l’origine reconnue comme un simple pouvoir de faire. La loi Gobelet (30/10/1886) interdit d’ailleurs aux communes et départements de subventionner l’enseignement primaire privé, et le CE a toujours interprété strictement cette loi. Mais, les partisans de l’enseignement privé ont demandé une aide financière de l’Etat, en arguant qu’il lui est plus avantageux de subventionner l’enseignement privé, que de prendre en charge tous les élèves au cas où cet enseignement disparaissait, et que l’absence d’aide publique peut mutiler cette liberté et introduire une inégalité entre les familles du fait de leur richesse.

Þ Sous la IVème République, le décret Poinso-Chapuis du 22/5/1948 permet d’accorder une aide financière aux familles qui ont des difficultés matérielles pour instruire leurs enfants sans distinguer s’ils fréquentent une école publique ou privée. La loi Barangé du 28/9/1951 accorde une aide à toute famille dont l’enfant fréquente un établissement du premier degré public ou privé. La loi Marie du 21/9/1951 autorise les enfants boursiers à fréquenter un établissement du secondaire public ou privé.

Sous la Vème République, la loi Debré du 31/12/1959 permet aux établissements privés de passer des contrats avec l’Etat. En 1977, la loi Guermeur a assoupli les conditions de l’aide à l’enseignement privé. CC, 23/11/1977 en a dégagé le PFRLR de la liberté d’enseignement. En 1981, F. Mitterrand voulait créer un grand SP unifié et laïc de l’enseignement devant conduire à la suppression de l’enseignement privé. Le projet de loi de 1984 visait à rapprocher durablement les éléments publics et privés du système éducatif français, et a adapter l’aide de l’Etat aux établissements privés à la décentralisation : il n’a pas été adopté. La loi du 25/1/1985 reprend juste les dispositions de la loi Debré de 1959 et l’adapte à la décentralisation.

En 1993, une proposition de loi visait à réviser la loi Falloux, qui limitait les subventions des collectivités locales aux établissements du secondaire d’enseignement privé général, à 10% de leurs dépenses annuelles. La proposition de loi visait à permettre aux collectivités locales de subventionner sans limite les dépenses de ces établissements, en prévoyant qu’à effectif égal, cette aide ne pouvait pas dépasser celle accordée aux établissements publics. Les 2 assemblées ont adopté cette proposition de loi. CC, 13/1/1994 a censuré ces 2 dispositions pour violation du principe d’égalité entre les établissements privés (aides accordées ou non selon les départements ou régions) et entre les établissements publics et privés (à égalité d’aide, les établissements publics ont des charges que n’ont pas les établissements privés). Le CC a fait prévaloir le principe d’égalité sur celui de libre administration des collectivités territoriales, sans remettre en cause le principe de l’aide financière des pouvoirs publics aux établissements privés.

Le régime juridique de l’enseignement privé

Le régime général

Il résulte essentiellement des lois Debré (1949) et Chevènement (1985) : les établissements privés peuvent :

  • intégrer le SP, c’est-à-dire disparaître en tant que tel.
  • ne pas passer de contrat avec l’Etat : l’établissement reste libre, mais ne reçoit pas d’aides.
  • passer un contrat simple avec l’Etat : l’Etat paye le traitement des enseignants, mais les frais de fonctionnement restent à la charge de l’établissement.
  • passer un contrat d’association avec l’Etat : l’Etat rémunère les enseignants, et participe avec les collectivités locales aux frais de fonctionnement. Pour passer un tel contrat, l’établissement doit exister depuis 5 ans, et satisfaire à un besoin scolaire reconnu.

La loi Debré oblige les établissements sous contrat à accueillir tout enfant sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyance ; impose le respect de la même neutralité idéologique que pour l’enseignement public ; autorise ces établissements à conserver leur caractère propre, mais dans des activités étrangères à la scolarité obligatoire. Pour le CC, c’est une condition de mise en œuvre de la liberté d’enseignement.

Les enseignants ont le statut d’agents publics contractuels (cf. jurisprudence sur les contrats), ou d’agents publics fonctionnaires : ils sont tenus à la même obligation de réserve que les enseignants du secondaire, et l’enseignement qu’ils dispensent doit suivre le programme des établissements publics.

Le régime de l’aide financière (en cas de contrat d’association).

  • Etablissements du premier degré : l’Etat rémunère les enseignants, et les communes doivent prendre en charge les dépenses de fonctionnement sous la forme du forfait d’externat (CE, 12/2/1982 Commune d’Aurillac : cette charge est obligatoire pour les communes, l’obligation étant fixée par la loi). La loi Gobelet du 30/10/1886 interdit aux pouvoirs publics de financer leurs dépenses d’investissement. L’Etat peut toutefois accorder sa garantie aux organismes qui construisent ces établissements.
  • Etablissements du second degré :
    • enseignement technique : l’Etat rémunère les enseignants. Le CE a jugé que, ni la loi Astier du 25/7/1919 relative à ces établissements, ni aucune autre loi n’interdisant à ces établissements de recevoir des subventions publiques, l’Etat peut financer sans limite leur dépense de fonctionnement, et les collectivités locales, leurs dépenses d’investissement.
    • enseignement agricole : l’Etat rémunère les enseignants. Il peut contribuer aux frais d’investissement (loi Rocard 1984), ainsi que les collectivités locales.
    • enseignement général : les dépenses de fonctionnement relèvent du régime du forfait d’externat. Les établissements reçoivent une somme forfaitaire par élève, équivalente à celle reçue par les établissements publics identiques : les collectivités locales (département pour collège ; région pour lycée) prennent en charge la part affectée aux dépenses de fonctionnement ; l’Etat finance l’autre part, affectée aux dépenses non pédagogiques (rémunération,…).

Les dépenses d’investissement : l’art.69 de la loi Falloux (1850) permet aux établissements libres d’obtenir des communes, départements ou de l’Etat, un local et une subvention qui ne peut excéder 10% de leurs dépenses annuelles. CE, 6/4/1990 Département d’Ille-et-Vilaine : cette limite s’applique aux dépenses d’investissement ; la collectivité ne peut mettre à la disposition de l’établissement qu’un local existant (interdiction de construire un local a cette fin) ; les communes, départements et régions sont concernés.

  • Etablissements du supérieur : aucune disposition législative n’interdit l’octroi d’aides publiques. CC, 8/7/1999 : le législateur peut prévoir des aides publiques à l’enseignement privé supérieur.

Þ C’est un régime complexe, qui varie suivant le degré de l’enseignement, et en fonction de la nature de l’enseignement privé. CE, 18/11/1998 : si un établissement regroupe un enseignement général et un autre enseignement, il faut examiner la situation classe par classe (par type d’enseignement).