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Le contrôle judiciaire de l’action des institutions communautaires : les recours en annulation et en carence


La notion de communauté de droits, dégagée dans l’arrêt Parti écologiste « Les Verts » c/ Parlement européen du 23/4/1986, signifie que les institutions ne peuvent agir qu’en vertu des traités, et que la légalité de leur action normative est soumise au contrôle du TPICE et de la CJCE.

Cette notion existait dans son principe dès 1951 et 1957 : les rédacteurs des traités ont mis en place un double mécanisme de contrôle de l’action normative des institutions, par le biais du recours en annulation (contrôle de la légalité de l’acte) et du recours en carence (contrôle de légalité de l’absence de décision).
§1 : Le recours en annulation.

A/ Présentation générale.

L’art.230CE (ex-art.173 CEE) permet de déférer les actes des institutions devant le TPICE ou la CJCE si le requérant estime que l’acte viole les traités de base, le droit international, les PGD,…

Cet article organise l’équivalent du recours en excès de pouvoir connu en droit administratif français.

Cette procédure n’est pas très favorable aux particuliers : les personnes physiques ou morales ne peuvent accéder au prétoire du TPICE ou de la CJCE que dans certaines conditions assez restrictives et ils ne peuvent pas agir en annulation contre tous les types d’acte.

Le recours en annulation constitue néanmoins un moyen juridictionnel efficace permettant de contrôler la légalité des actes adoptés par toutes les institutions communautaires.

B/ Les acteurs du recours en manquement.

Les rédacteurs des traités ont créé 3 catégories de requérants aptes à saisir la CJCE ou le TPICE.

1) Les requérants privilégiés.

La Commission, le Conseil et les Etats membres ont été admis à agir devant la CJCE dès 1951 et 1957. Ces requérants sont qualifiés de privilégiés car :                                                    – il s’agit d’un privilège organique (agir devant la CJCE).

– ils peuvent agir en annulation sans invoquer un quelconque intérêt à agir. Ils sont investis d’un pouvoir général qui consiste à définir la légalité du système juridique communautaire, ce qui leur permet d’agir en estimant que l’acte contesté est illégal.

2) Les requérants ordinaires.

Les requérants ordinaires sont les personnes morales et les personnes physiques.

· Les requérants ordinaires ne peuvent agir dans un premier temps que devant le TPICE et éventuellement exercer un pourvoi devant la CJCE quand ils succombent en première instance.

Ils doivent prouver leur intérêt à agir c’est-à-dire démontrer que l’acte qu’on leur oppose fait grief, qu’il modifie substantiellement leur patrimoine juridique et qu’ils ont un intérêt tout particulier à ce que l’acte en question disparaisse, à condition qu’il soit illégal. En effet, c’est l’illégalité qui fait grief. Un acte légal peut causer un préjudice auquel cas si le préjudice est spécial (une personne) et anormal (disproportionné) le destinataire de l’acte pourra demander l’engagement de responsabilité de l’institution émettrice.

· Les requérants ordinaires ne peuvent pas demander l’annulation de tous les actes des institutions mais seulement des décisions. L’art.230CE entend toutefois la notion de décision de façon particulière, et permet aux requérants ordinaires :            – de contester la légalité d’une décision qui lui est adressée. Il peut ainsi demander l’annulation d’une décision qui le concerne directement et individuellement.

– de contester la légalité d’une décision adressés à un tiers, que ce tiers soit une personne physique ou morale ou même un Etat (CJCE, 15/7/1963 Plaumann). Il devra alors prouver que la décision le concerne directement et individuellement, sans quoi le recours sera irrecevable.

– d’agir en annulation contre un règlement formel (un acte qualifié de règlement par l’institution qui l’a adopté, mais qui en réalité est une décision). Le requérant devra alors prouver qu’il s’agit d’une décision qui le concerne directement et individuellement. La CJCE a aussi admis le recours en annulation contre des directives formelles : des décisions qui concernent directement et individuellement le requérant mais qui ont été dénommés directives (CJCE, 23/11/1995 ASOCARNE).

Un requérant ordinaire peut donc attaquer un acte à portée générale, s’il contient une disposition qui lui fait grief et qui le concerne directement et individuellement. C’est pourquoi le TPICE et la CJCE admettent les recours en annulation contre un acte à portée générale afin d’apprécier par la suite la légalité d’une disposition concernant directement et individuellement le requérant (CJCE, 18/5/1994 Codorniú). Si elle est illégale, le juge n’annulera pas tout le règlement, mais juste la disposition en cause.

· La CJCE a néanmoins posé le principe de l’universalité de l’action : les requérants ordinaires peuvent saisir la CJCE ou le TPICE de n’importe quel type d’acte. Dans un premier temps, le juge communautaire accepte la recevabilité des recours exercés par un requérant ordinaire contre n’importe quel acte de droit dérivé, puis, dans un second temps, il s’intéresse à la nature exacte de l’acte qu’on lui soumet : le recours sera déclaré recevable si l’acte en question est une décision ou un acte de portée générale rentrant dans l’hypothèse Codorniù. Dans tous les autres cas, il sera déclaré irrecevable. Si le recours est recevable, la CJCE ou le TPICE appréciera la légalité au fond de l’acte, c’est-à-dire vérifiera s’il est ou non conforme aux règles juridiques qui lui sont supérieures et qui présidaient à son adoption.

3) Les requérants intermédiaires : le Parlement européen, la Cour des comptes, et la BCE.

Les traités constitutifs ne prévoyaient pas que le Parlement européen et la Cour des comptes puisse agir en annulation contre les actes de la Commission et du Conseil, ni que la Commission, le Conseil et les Etats puissent agir contre les actes du Parlement européen et de la Cour des comptes.

· La légitimation passive du Parlement européen est consacrée par CJCE, 23/4/1986 Parti écologiste « Les Verts » c/ Parlement européen : la Cour pose le principe de la communauté de droits, en vertu duquel tous les actes des institutions doivent faire l’objet d’un contrôle, y compris ceux adoptés par le Parlement. Elle modifie donc l’art.173CEE en permettant aux institutions et aux Etats d’agir contre les actes du Parlement.

· La légitimation active du Parlement européen est consacrée par CJCE, 21/5/1990 Parlement européen c/ Conseil (Tchernobyl) : il peut agir en annulation contre les actes de la Commission ou du Conseil, à condition qu’il démontre que l’acte en question porte atteinte à ses prérogatives institutionnelles. Il n’a donc pas un pouvoir contentieux général. La CJCE procède ici à une nouvelle révision judiciaire de l’art.173CEE en attribuant au Parlement européen des droits contentieux que le traité ne lui conférait pas.

Þ Le traité de Maastricht du 7/2/1992 entérine cette jurisprudence : l’art.173CEE est modifié et il consacre la légitimité passive et active du Parlement européen, de la Cour des Comptes et de la Banque Centrale Européenne. Mais, pour ces trois institutions, leur légitimité active suppose la preuve devant la CJCE que l’acte dont il conteste la légalité porte atteinte à leur prérogative institutionnelle.

Le traité d’Amsterdam ne modifie pas les compétences contentieuses reconnues au Parlement européen, à la Cour des comptes et à la Banque Centrale Européenne par l’art.173CEE, devenu l’art.230CE.

C/ Les moyens invocables devant le TPICE et la CJCE.

Le traité CECA prévoit que les requérants ne peuvent agir en annulation que dans un délai d’un mois après l’entrée en vigueur des actes publiés, ou la notification des décisions individuelles. Les traités de 1957 prévoient un délai de 2 mois aussi bien contre les actes publiés que contre les actes notifiés : pour les actes adressés à un tiers, le délai est de 2 mois à partir du moment où il en a eu connaissance.

Les moyens invocables sont énumérés à l’art.230 §2 CE : la CJCE et le TPICE sont compétents pour se prononcer sur les recours pour incompétence, violation des formes substantielles, violation du traité ou de toute règle de droit relative à son application, ou détournement de pouvoir.

·Moyens de légalité externe :         – illégalité à raison de l’auteur : incompétence. Ce moyen est d’ordre public.

– illégalité à raison des formes de l’acte : violation des formes substantielles. On y rattache parfois le contentieux de la base juridique : adoption d’un acte en niant les compétences d’une autre institution.

· Moyens de légalité interne :         – illégalité à raison du but de l’acte : détournement de pouvoir (l’acte adopté ne sert pas l’intérêt public, mais un intérêt privé).

– illégalité à raison du contenu de l’acte : violation des traités ou des règles d’application. Le requérant demande au juge de vérifier la conformité des dispositions d’un acte communautaire aux dispositions supérieures : conventions internationales, PGD, traités communautaires, acte de base (si l’acte contesté est un règlement d’exécution),…

– illégalité à raison des motifs de l’acte : la CJCE ou le TPICE va apprécier les motifs qui ont présidé à l’adoption de l’acte. Le juge communautaire va ainsi vérifier les motifs de faits (exactitude matérielle des faits), la qualification juridique des faits (contrôle de la qualification erronée) et l’erreur de droit (l’acte doit être pris en vertu de la bonne disposition du traité).

D/ Portée des arrêts de la Cour de Justice des Communautés Européennes.

Les décisions du TPICE ou de la CJCE prononçant l’annulation d’un acte communautaire ont deux effets :  – l’annulation provoque la disparition de l’acte ;

– l’annulation est rétroactive : le requérant doit se retrouver dans la même situation juridique qu’au moment de l’adoption de l’acte annulé. Toutefois, l’art.231CE permet au TPICE ou à la CJCE de limiter les effets de l’annulation, et notamment de limiter l’effet rétroactif de l’annulation à une date plus proche.

E/ Exception d’illégalité.

L’art.241CE permet à un requérant d’exciper de l’illégalité d’un règlement dans le cadre d’un recours en annulation d’une décision prise en application de ce règlement. Il s’agit donc d’un recours incident.

Le requérant pourra agir dans un délai de 2 mois contre la mesure d’application du règlement dont il excipe l’illégalité, afin d’obtenir l’annulation du règlement pour contrariété avec une norme supérieure. La légalité d’un acte peut donc être contestée indirectement lorsque les délais de recours sont dépassés.

Cette procédure permet aux requérants ordinaires de demander l’annulation d’un acte à portée générale.

L’art.241 CE ne prévoit l’exception d’illégalité que contre les règlements : la CJCE a élargi cette procédure aux directives communautaires.
§2 : Le recours en carence (art.232CE).

L’art.35 du traité CECA organisait un recours en carence, alors lié à la demande d’annulation d’une décision implicite de refus. En 1957, l’art.175CEE (futur 232 CE) crée une nouvelle procédure, consistant en un contrôle de légalité de l’inaction des institutions.

Si une institution n’a pas statué dans un délai de 2 mois, alors qu’elle était obligée de prendre une décision, le destinataire de la décision non adoptée peut saisir la CJCE ou le TPICE dans un nouveau délai de 2 mois afin qu’elle se prononce sur le point de savoir si ce refus de décider est légal au regard des traités. Le juge peut :   – constater que l’institution a finalement adopté une décision (positive ou négative). Le TPICE ou la CJCE estime alors que le requérant a obtenu sa réponse, et qu’il n’y a pas carence.

– constater que l’institution qui était tenue de statuer, n’a pas adopté de norme et a ainsi commis une illégalité constitutive d’une carence. La décision de la CJCE est alors contraignante pour l’institution en cause : elle est tenue d’adopter sa décision dans un délai raisonnable.

Le Parlement européen, la Commission, ou les Etats peuvent agir en carence contre le refus d’une institution d’adopter n’importe quel type d’acte. Un requérant ordinaire ne peut agir que contre le refus des institutions d’adopter des décisions concernant directement et individuellement le requérant.