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DH et libertés publiques dans les déclarations révolutionnaires françaises


· La DDHC du 26/8/1789 est considérée comme l’acte officiel de naissance des libertés publiques. Elle est placée en tête de la constitution de 1791, qui la garantie.

· La déclaration girondine de 2/1793. La constitution de 1793 (jamais appliquée) la comprend.

· La déclaration montagnarde de 6/1793 (35 art. ; jamais appliquée).

· La déclaration de l’an III, précédant la constitution du 5 fructidore an III (8/1795).

Þ Elles se différencient surtout sur le ton : celle de 1789 est enthousiaste ; celles de 1793 sont empreintes de combat (résistance à l’oppression, insurrection) ; la prudence ressort de celle de 1795 (droits et devoirs du citoyen). L’acquis de 1789 n’a jamais été remis en question ultérieurement.
§1 :  Les sources d’inspiration des déclarations révolutionnaires.

A/  Les sources philosophiques.

1) La pensée judéo-chrétienne.

La fin du préambule de la déclaration de 1789 fait référence à l’être suprême, mais sans directement affirmer d’inspiration religieuse. Toutefois, l’apport de la pensée judéo-chrétienne est perceptible sur 3 points :       – la dignité de la personne humaine. L’individu a une destinée éternelle.

– la dignité est accordée à tout être humain : égalité de tous les hommes devant Dieu et entre eux.

– limitation du pouvoir politique : il existe autour de chaque individu une zone spirituelle dont l’accès est interdit au pouvoir temporel. S’il vient à s’y ingérer, le sujet est en droit de résister, de désobéir.

2) Les théories du Droit naturel.

On en trouve en Grèce, à l’époque classique (Antigone). Pour Aristote, le droit positif doit être un reflet du droit naturel. Au XIIIème, Saint Thomas d’Aquin estime que la loi naturelle s’impose au pouvoir (loi humaine) car elle est le reflet de la loi éternelle (divine). L’école du droit de la nature et des gens (Grotius et Bufendorf) laïcisera cette théorie : le droit naturel est inhérent à la nature humaine.

Pour toutes ces théories, un droit naturel prévaut sur le droit positif, et il existent des principes fondamentaux valables à toute époque dans toute société. Le pouvoir doit respecter ce droit qui lui est supérieur et antérieur. Les déclarations consacrent ainsi quelques droits naturels et imprescriptibles.

3) Les théories du contrat social.

Les hommes ont vécu dans l’inorganisation en toute liberté, avant que n’existe la société. Pour Hobbes, cet état de liberté était un état d’anarchie : pour y mettre fin, l’homme a institutionnalisé la société, mais par ce contrat, il s’abandonne au pouvoir, ce qui débouche sur un pouvoir totalitaire, absolutiste.

Pour Locke, l’homme étant naturellement bon, l’état de liberté était bon. Mais un jour, il faut fonder une société organisée : les hommes auraient passé un contrat social dans lequel ils abandonnent leurs droits et libertés indispensables à la cohésion sociale : la déclaration des droits est la partie du contrat social énonçant les droits et libertés que l’homme n’abandonne pas au pouvoir.

Rousseau part du même constat que Locke (l’état de liberté est bon), mais considère que, par le contrat social, les hommes abandonnent sans les perdre, toutes leurs libertés au pouvoir : celui ci se trouvant dans la volonté générale, le vote de la majorité révèle à la minorité qu’elle s’est trompée, et se ralliant à la volonté générale, la minorité reste libre. Il prône donc la démocratie semidirecte : le peuple légifère lui-même ou délègue à des représentants dotés d’un mandat impératif. En obéissant à la loi, expression de la volonté générale, chaque citoyen obéit à lui-même et est donc libre.

Þ Dans les déclarations, les idées de Rousseau sont en partie présentes. Certaines formules ont été retenues concernant la liberté de l’homme dès sa naissance, le fait que le but de la société soit de protéger les libertés naturelles de l’homme, et que la loi ne peut par nature être un instrument d’oppression, d’où un certain culte de la loi (absence de contrôle de conformité aux normes supérieures avant 1971).

Au moins deux éléments ont été laissés de coté : le principe même d’une déclaration des droits n’est pas nécessaire pour Rousseau (on n’a pas à se protéger du pouvoir), qui prône aussi la démocratie directe, alors que les auteurs des déclarations préfèrent la démocratie représentative.

4) La philosophie des Lumières.

Elle synthétise les idées du XVIIIème :   – la défiance envers le pouvoir : la séparation des pouvoirs prôné par Montesquieu est consacrée par l’article 16 de la DDHC de 1789.

– l’anglomanie (Parlement puissant face au roi, mais limité par l’Abéas Corpus pour protéger les citoyens) a conduit à consacrer le principe de sûreté (art. 7).

– le physiocratisme (culte de la propriété et du libéralisme) a entraîné l’élévation de la propriété au rang des droits naturels et imprescriptibles de l’homme (art. 2).

– le déisme de Voltaire.

B/ Les sources juridiques.

1) Les pactes anglais.

Il s’agit surtout de conventions passées entre le roi et les barons ou le Parlement.

· La Grande Charte (Magna Carta) du 21/6/1215 : Jean Sans Terre s’engage à respecter un minimum de liberté : liberté d’aller et venir à l’intérieur et à l’extérieur du Royaume.

· La pétition des droits du 7/6/1628 imposée par le Parlement à Charles 1er, rappelle au roi qu’il est obligé de reconnaître des droits et libertés naturelles. Le roi s’interdit toute détention arbitraire.

· L’acte d’Abeas Corpus de 1679 lutte contre les détentions arbitraires et pose le principe que toute personne détenue doit être présentée à un juge dans le délai maximum de 3 jours après son arrestation.

· La Déclaration des droits du 13/2/1689 (Guillaume d’Orange) énumère les libertés des citoyens.

Þ Toutes ces conventions traitent de la liberté des personnes autant que des libertés politiques, notamment des droits du Parlement vis-à-vis de la Couronne. Elles sont assez pragmatiques, en tant qu’elles organisent les procédures visant à protéger les libertés consacrées, ce qui limitera leur influence hors d’Angleterre. Elles influenceront tout de même les déclarations françaises en matière de nécessité de protéger les libertés des citoyens, et de transcrire ces droits fondamentaux dans des textes solennels.

2) Les déclarations américaines.

· La déclaration d’indépendance des EU du 4/7/1776 s’ouvre par un préambule rappelant l’existence de certains droits inaliénables (droit à la vie, à la liberté, au bonheur,…).

· Chacune des constitutions des 13 colonies devenus indépendantes commence par une déclaration des droits. Celle de l’état de Virginie proclame que tous les hommes sont par nature libres et indépendants.

Þ Leur influence sera décisive sur le principe même d’une déclaration précédant les constitutions, mais sera moins sensible sur le contenu : elles ouvrent la voie aux déclarations françaises par leur référence aux droits naturels, mais comme les pactes anglais, elles sont très pragmatiques alors que les déclarations françaises énoncent plus des principes ; la conception de certains droits diffère de la notre (liberté fondée sur la dignité de l’effort ou la réussite, plus que sur des prérogatives abstraites inhérentes à la nature humaine). La DDHC est rédigée dans un style plus clair, plus sobre que les déclarations américaines.

Pour l’allemand Gellinek, la déclaration de 1789 copie les déclarations américaines, elles-mêmes inspirées des déclarations allemandes. Pour le français Boutmy, la DDHC et les déclarations françaises en général sont d’inspiration purement française. En fait, les auteurs américains ont été très influencés par le courant philosophique du XVIIIème, et les auteurs français se sont inspirés des déclarations américaines.
§3 : Le contenu des déclarations révolutionnaires.

A/ Les droits affirmés.

1) Des droits naturels.

Les Droits de l’Homme énoncés sont des droits naturels : ils sont inhérents à la nature humaine, imprescriptibles, inaliénables, appartiennent à tout homme (d’où l’égalité entre ces droits et leur universalisme) et sont préexistants à la société. Elle ne doit pas empêcher leur mise en œuvre.

2) Des Droits de l’Homme et des Droits du Citoyen.

· Les Droits de l’Homme permettent à chacun de vivre sa vie comme il l’entend, de s’autodéterminer. Ces droits sont essentiellement la liberté (d’agir), la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression.

· Les Droits du Citoyen sont des pouvoirs qui visent à permettre aux citoyens de participer à la conduite de la cité: droit de concourir à la formation de la loi, de consentir à l’impôt, d’accéder aux emplois publics, de demander des comptes à tout agent public = liberté de participation aux droits garantis par la société.

Þ Les Droits de l’Homme et ceux du Citoyen sont indissociables car, pour les auteurs des déclarations, ce n’est qu’en reconnaissant des droits aux citoyens que l’on conservera des Droits de l’Homme.

B/ Les principes proclamés.

1) La liberté.

Il s’agit du premier Droit de l’Homme reconnue en 1789. En 1793, elle vient en second, après l’égalité. Elle trouve son fondement dans la nature humaine, car « les hommes naissent libres » : cette liberté est antérieure au pouvoir, et s’impose donc à lui. L’art. 4 de la DDHC énonce que la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Pour l’article 5, tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché. Les Déclarations ont aussi consacrés quelques libertés particulières, estimées spécialement menacées : les libertés individuelle (art. 7, 8 et 9), d’opinion (art. 10), d’expression (art. 11). Mais, le principe général reste la liberté de tous les comportements dans tous les domaines.

2) La légalité.

La loi, en tant qu’expression de la volonté générale, est mentionnée dans la plupart des articles de la DDHC. Ce culte n’est toutefois pas absolu, puisqu’on constate dans quelques articles une défiance vis-à-vis d’elle : l’article 5 précise qu’elle ne peut sanctionner que des actions nuisibles à la société, qu’elle ne peut établir que des peines nécessaires, et qu’elle doit être la même pour tous (art. 6).

3) L’égalité.

Art.1 de la DDHC : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». En 1789, elle n’est pas dans la liste des droits naturels et imprescriptibles de l’homme : elle y sera rajoutée en 1793 et 1795.

Reconnaître ce principe engendre la suppression de toutes les inégalités liées à la naissance (hiérarchie sociale, accès aux emplois publics, contribution aux charges publiques,…). Des principes secondaires, demeurant à la base du droit public en découlent aussi, certains étant consacrés par le Conseil constitutionnel comme ayant valeur constitutionnelle. En fait, on reconnaît les mêmes droits à chacun, puis le jeu de la liberté amène chacun à des situations de faits différentes, qui pourront être inégalitaires.

Þ Le principe d’organisation politique essentiel reconnu dès 1789 est celui de la séparation des pouvoirs (art. 16). Si la souveraineté appartient à la nation, et si chacun des trois pouvoirs émane de la nation, il est apparu nécessaire aux auteurs de la déclaration de 1789 de séparer ces pouvoirs pour les confier à des organes différents. Le pouvoir législatif est privilégié par rapport aux deux autres.
§4 : Les caractères des déclarations révolutionnaires.

Les auteurs des déclarations ont voulu proclamer une idée valable pour tous, tout le temps : l’homme est libre, et toute société est organisée pour promouvoir cette liberté. Trois caractères en découlent.

A/ L’individualisme.

Il affecte les sujets des droits ainsi reconnu : le seul sujet est l’individu, l’homme considéré isolément. Aucun droit naturel n’est reconnu aux groupes sociaux (famille, collectivités professionnelles,…). La Révolution est hostile vis-à-vis des groupements professionnels (réaction contre les corporations).

Il affecte l’objet des libertés reconnues : ce sont des libertés exclusivement individuelles, qui peuvent être mises en œuvre par la seule volonté d’un individu. Les libertés collectives sont quasiment ignorées.

B/ L’universalisme.

Les droits proclamés étant des droits inhérents à la nature humaine, ils sont valables pour tous les hommes dans toutes les époques : les déclarations ont donc vocation à s’adresser à tous les hommes de toutes les époques. Cet universalisme se manifeste par l’intitulé des déclarations (DDHC) et en explique la brièveté, car les auteurs voulant s’adresser à toute l’humanité, ont dû se cantonner dans des termes vagues.

C/ L’abstraction.

Les termes employés ne font référence à aucune situation particulière : généralité.

Les droits sont reconnus aux individus sans se soucier des moyens matériels de leur exercice effectif. Les déclarations consacrent des libertés formelles qui permettent seulement à ceux qui en ont les moyens d’en profiter. Sur le terrain juridique, les déclarations affirment des droits mais se désintéressent des procédures qui en permettent l’exécution.

Ces critiques doivent être nuancées : certains droits ou libertés peuvent être exercées sans qu’on accorde de moyens matériels à leur bénéficiaire (sûreté, liberté d’opinion, liberté d’expression,…). Les auteurs des déclarations ont proclamé des droits, puis en ont assuré la garantie en adoptant la constitution.

Les déclarations de 1793 et 1795 auront une postérité éphémère. Celle de 1789 aura un destin autre : après une phase d’ombre, elle rejaillit à la lumière avec les préambules des constitutions de 1946 et 1958, et encore plus après 1971 quand le Conseil Constitutionnel lui reconnaît valeur constitutionnelle.