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La formation du cautionnement


Le cautionnement est un contrat spécial, mais qui obéit pour l’essentiel au droit commun des obligations. Il se crée donc librement quand des conditions de fond et de forme sont remplies.
§1 : Des conditions de fond.

Comme tout contrat, le cautionnement doit respecter les conditions posées à l’art.1108 c.civ., relatives à l’objet (garantir les dettes du débiteur), aux parties, au consentement et à la cause.

A/ Les conditions relatives aux parties.

En principe, et conformément au droit commun, toute personne dispose de la capacité de se porter caution, mais il existe des limites et exceptions.

1) Les règles relatives à la capacité de la caution.

La capacité requise pour se porter caution est plus sévère qu’en droit commun des contrats.

En droit des incapacités, le cautionnement est assimilé à un acte de disposition à titre gratuit, et non pas à un contrat quelconque. En conséquence, les mineurs et majeurs en tutelle ne peuvent en principe se porter caution ni pour un tiers ni pour leur représentant légal, sauf autorisation spéciale du juge des tutelles.

En droit des sociétés :        – dans les SA, les organes de direction (Conseil de surveillance ou d’administration) doivent fixer les limites dans lesquelles le président de la SA peut se porter caution : au delà du plafond fixé et de la durée déterminée pour l’obligation de couverture, la SA n’est pas engagée même si le créancier se prévaut de l’apparence ou de sa bonne foi.

– dans les sociétés civiles et les sociétés de personne, le cautionnement n’est licite que s’il est conforme à l’objet social.

– dans les SARL, le cautionnement est licite même si le président dépasse ses pouvoirs sociétaires à l’égard des créanciers de bonne foi.

– le cautionnement par la société des dettes personnelles d’un associé, ou de celles d’un membre de la famille d’un associé, est purement et simplement interdit dans toute société.

2) Le pouvoir de s’engager par un cautionnement.

Les règles relatives au pouvoir de s’engager sont sanctionnées par la limitation du droit de gage général du créancier sur les biens de la caution. Ainsi, en droit des régimes matrimoniaux, le cautionnement donné par un époux est valable, mais les pouvoirs de cet époux sont limités par l’art.1415 c.civ. qui prévoit 3 hypothèses :    – un époux se porte caution sans l’accord de son conjoint : le créancier ne peut saisir que les biens propres et revenus de l’époux qui s’est porté caution.

– un époux se porte caution, et son conjoint donne son accord au cautionnement contracté : le créancier peut saisir les propres et revenus de l’époux qui s’est porté caution, ainsi que tous les biens communs, à l’exclusion des propres de l’époux qui ne fait que donner son accord.

– l’époux et son conjoint se portent caution solidaire : tous leurs biens sont engagés.

Þ L’art.1415 c.civ. limite le risque de ruine inhérent au cautionnement, car l’époux qui se porte seul caution est juridiquement capable, mais le créancier ne peut saisir ses biens que sur une assiette réduite.

B/ Le consentement.

Les cautions poursuivies par le créancier tentent souvent d’obtenir l’annulation de leur engagement pour vice du consentement. Mais l’erreur et le dol obéissent à des conditions relativement restrictives.

1) L’erreur (art.1110 c.civ.).

Les conditions de l’art.1110 c.civ. sont rarement réunies. La jurisprudence admet de caractériser l’erreur lorsque : – la caution n’a pas compris la nature de son engagement.

– la caution n’a pas mesuré l’étendue de son engagement, étant entendu que l’erreur peut alors porter sur l’obligation de couverture ou sur celle de règlement.

Þ En pratique, ces erreurs sont rares. Le plus souvent, la caution invoque une erreur sur la solvabilité du débiteur :    – l’erreur sur la solvabilité future du débiteur est inopérante car, par nature, le cautionnement sert à garantir une éventuelle insolvabilité future.

– l’erreur sur la solvabilité présente du débiteur (une personne se porte caution alors que la situation financière du débiteur est d’ores et déjà complètement obérée). La caution invoque alors un défaut d’aléas, au motif que, contrairement à ce qu’elle croyait, son engagement n’est pas éventuel.

Civ.1, 1/3/1972 a admis cette erreur, mais depuis 1977, la Cour de cassation décide que la caution ne commet d’erreur que si elle démontre qu’elle avait fait de la solvabilité du débiteur principal, la condition de son engagement (Civ.1, 11/12/1990). L’erreur ne sera donc admise que si le contrat de cautionnement stipule la solvabilité présente du débiteur comme condition au cautionnement. A défaut, l’erreur de la caution ne porte que sur son mobile, et elle est indifférente selon le droit commun.

Þ Les actions en nullité pour erreur n’aboutissent rarement en pratique.

2) Le dol (art.1116 c.civ.).

La nullité pour dol est un peu plus fréquemment prononcée. Ex : une banque laisse croire à la caution que le débiteur pourra faire face à son obligation et donc, que, dans le cas très incertain où elle devrait payer, elle disposera d’un recours efficace contre le débiteur. Or, la situation du débiteur est déjà obérée.

Selon le droit commun, le dol peut résulter d’un acte positif (production de faux documents comptables,…), ou d’un silence (la banque ne révèle pas que la situation du débiteur est irrémédiablement compromise).

L’admission de la réticence dolosive suppose de savoir si la caution doit être informée par le créancier, ou si elle doit s’informer elle-même. Conformément au droit commun, le créancier est soumis à une obligation d’informer la caution, lorsqu’il est difficile à cette dernière de connaître la situation exacte du débiteur : cette obligation pèse donc souvent sur le créancier, qui est particulièrement à même de connaître la situation de son débiteur.

3 limites :       – la réticence dolosive n’existe que si le créancier connaît la situation du débiteur. Or, le plus souvent, le dol émane du débiteur : ce dol est indifférent, car le débiteur n’est pas partie au contrat de cautionnement. Il s’agit donc du dol d’un tiers.

– aucun devoir d’information ne pèse sur le créancier, lorsque la caution est en mesure de se renseigner par elle-même, en raison de ses liens avec le débiteur. Seules les cautions étrangères au débiteur sont protégées.

– le créancier n’a aucun devoir de conseil envers la caution, mais juste un devoir d’information.

Þ Aujourd’hui, le dol et l’erreur sont peu fréquemment invoqués et admis. La caution est donc tentée d’obtenir l’annulation de leur engagement pour défaut de cause.

C/ La cause du cautionnement.

La cause du cautionnement est le but que présente chaque prestation pour l’une des parties. La cause de l’engagement de la caution est difficile à déterminer, car le contrat de cautionnement est à la fois un contrat unilatéral (la caution n’attend rien en échange), et une opération à trois personnes : le contrat principal entre le créancier et le débiteur exerce une influence sur la cause du cautionnement.

1) La détermination de la cause.

Ä Selon une première conception, la cause de l’obligation de la caution se trouve dans la relation que la caution entretient avec le débiteur. Dans ce cas, la caution cherche à rendre service au débiteur pour lui faciliter son activité, mais elle peut aussi s’engager pour obtenir une rémunération du débiteur (cautionnement à titre onéreux, fourni par un établissement de crédit).

Ä Selon une seconde conception, la cause de l’obligation est le crédit accordé par le créancier au débiteur. Elle réside donc exclusivement dans les relations entre la caution et le créancier, la première attendant du dernier une ouverture de crédit au profit d’un tiers.

Com, 8/11/1972 a consacré cette conception : « la cause de l’obligation de la caution est la considération de l’obligation prise corrélativement par le créancier, à savoir l’ouverture de crédit au débiteur ». Les relations entre la caution et le débiteur ne sont considérées que comme des mobiles indifférents.

2) Le rôle de la cause.

Cette appréciation de la cause limite fortement son rôle : les cas d’annulation pour défaut de cause sont rarissimes. En effet, comme les relations entre la caution et le débiteur sont indifférentes, le contrat de cautionnement reste causé même si le débiteur perd la qualité qui avait conduit la caution à s’engager.

Si la caution s’engage parce qu’elle est associé majoritaire, elle doit expressément mentionner cette condition dans le contrat de cautionnement, ce qui permettra de résilier le cautionnement si elle perd cette qualité : l’obligation de couverture cessera à la date à laquelle la caution a perdu sa qualité. Mais, si elle omet de mentionner cette qualité, c’est que cette qualité est indifférente pour elle, et la Cour de cassation refusera d’annuler le cautionnement pour un motif que le créancier ne pouvait pas connaître.

Þ L’erreur ou le défaut de cause ne sont retenus que si la caution a fait entrer son mobile dans le champs contractuel, en exigeant une solvabilité présente (erreur) ou que la caution conserve telle qualité (cause). La nullité pour dol est tout aussi rare, car il émane le plus souvent d’un tiers (débiteur principal).
§2 : Les conditions de forme ou de preuve.

Les cautions ont tenté de faire annuler leur engagement en invoquant les vices de l’écrit instrumentum constatant leur obligation. En effet, l’art.2015 c.civ. affirme que « le cautionnement ne se présume point ; il doit être exprès », et l’art.1326 c.civ. impose une mention manuscrite dans les contrats unilatéraux.

A/ Les règles de preuve et de forme dans le droit commun.

La règle de preuve vise à prouver l’existence et le contenu des obligations figurant dans un contrat. La charge de la preuve pèse sur le demandeur (créancier) : soit il prouve l’existence et le contenu de son engagement, et il obtient gain de cause ; soit il échoue dans la preuve et sera débouté de sa demande.

En principe, la preuve de toute obligation d’un montant de plus de 5.000F obéit au système de la preuve légale : selon l’art.1341 c.civ., le créancier doit produire un écrit, mais l’art.1348 c.civ. permet au créancier qui ne dispose que d’un commencement de preuve par écrit (photocopie ou fax) de rapporter une autre preuve venant corroborer la première (témoignage ou lettre émanant du débiteur).

La règle de forme est une exception au consensualisme : si la forme n’est pas respectée, l’obligation est nulle, même si le créancier prouve l’existence et le contenu de l’engagement.

Þ Avec une preuve insuffisante, l’obligation est simplement non prouvée. En présence d’une règle de forme, l’obligation est irrémédiablement nulle même si on prouve son existence.

Þ Dans les contrats unilatéraux (cautionnement,…), l’art.1326 c.civ. impose que le débiteur fasse figurer, outre sa signature, la mention écrite de sa main de la somme en toutes lettres et en chiffres de l’obligation.

· Qualification de la règle : l’art.1326 c.civ. est une règle de preuve particulière. Un acte sous seing privé qui viole l’art.1326 c.civ. peut tout de même valoir commencement de preuve par écrit : le créancier peut obtenir l’exécution de l’engagement de la caution s’il rapporte une autre preuve (témoignage, lettre,…).

· Le domaine de l’exigence : l’art.1326 c.civ. ne concerne que les actes sous seing privé. Il ne s’applique ni aux cautionnements conclus par acte authentique (le notaire informe la caution), ni aux cautionnements commerciaux (art.109 du code de commerce : à l’égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tout moyen). Seul le cautionnement civil non authentique est donc concerné.

B/ La mention manuscrite dans la jurisprudence.

La jurisprudence a connu une évolution contrastée sur cette question.

1) La mention manuscrite, une règle de preuve.

Après des hésitations et divergences entre la première chambre civile et la chambre commerciale de la Cour de cassation, la jurisprudence semble aujourd’hui qualifier la mention manuscrite de règle de preuve.

Les hésitations ont débuté dans les années 1980 : afin de protéger les cautions, la première chambre civile de la Cour de cassation avait transformé la règle de preuve de l’art.1326 c.civ. en une règle de forme. Techniquement, elle avait combiné l’art.1326 c.civ. sur la mention manuscrite, et l’art.2015 c.civ. relatif au caractère exprès du cautionnement : la mention manuscrite était devenue le moyen de s’assurer que la caution avait pris conscience de la nature et de la porté de son engagement. Le cautionnement devenait donc nul si la mention manuscrite n’était pas correctement effectuée. La chambre commerciale était en divergence de jurisprudence.

Depuis 1989, la première chambre civile de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence, car la volonté de protéger les cautions profanes s’est avérée trop forte : le cautionnement perdait en efficacité et trop de cautions échappaient à leurs engagements alors qu’elles s’étaient parfaitement rendues compte de la nature et de l’étendue de leur obligation. La première chambre civile de la Cour de cassation est donc revenue au droit antérieur aux années 1980 : la mention manuscrite est une règle de preuve, et donc, si elle est absente ou déficiente, l’acte de cautionnement n’est pas nul, mais le créancier doit compléter cet acte, qui vaut commencement de preuve par écrit, par d’autres preuves.

2) Le contenu de la mention manuscrite.

a_ La caution chiffre le montant de son engagement.

La caution plafonne son obligation de règlement en écrivant de sa main, une somme en lettres et en chiffres. La mention manuscrite ne concerne que l’obligation de règlement : tous les autres éléments de l’engagement de la caution en sont exclus. C’est ainsi qu’une clause dactylographiée suffit à établir l’étendue de l’obligation de couverture, ou le caractère solidaire du cautionnement.

La caution qui s’est engagée pour un montant chiffré peut-elle aussi être tenue des intérêts éventuels de la dette principale?

Si le contrat contient une clause dactylographiée mentionnant que la caution est tenue au principal et aux intérêts, la jurisprudence décide que le montant chiffré par la mention manuscrite constitue le plafond absolu de l’engagement de la caution : le créancier ne pourra lui réclamer les intérêts que s’ils ne dépassent pas le chiffre manuscrit. Ex : la caution a fixé le plafond à 50.000F, et le créancier réclame 45.000F de principal et 10.000F d’intérêts : la caution versera 45.000F de capital et 5.000F d’intérêts.

Si le contrat contient aussi une mention manuscrite de l’engagement de la caution pour les intérêts, on applique cette clause. Le montant des intérêts chiffré par la caution constitue alors un plafond absolu.

Si la caution n’a pas chiffré le montant de son engagement pour les intérêts, on passe au second cas.

b_ La caution ne chiffre pas le montant de son engagement.

Les dispositions de l’art.1326 c.civ. ne peuvent pas toujours être respectées, car la caution ne peut pas inscrire dans le contrat, un chiffre qu’elle ignore.

Cette situation se produit lorsque :            – la caution s’engage pour un montant non chiffré mais plafonné. Ce sera par exemple le cas si elle s’engage pour 3 mois de loyer impayé, sans connaître le prix du loyer.

– le cautionnement est indéfini en principal.

– la caution ignore au moment où elle s’engage à le régler, quel sera le montant des intérêts de la dette principale.

Dans ces trois cas, la jurisprudence exige que l’acte sous seing privé ai une mention manuscrite. Cette exigence est d’autant plus nécessaire que le montant est illimité ou indéfini.

Civ.1, 3/3/1970 : il faut une mention manuscrite exprimant sous une forme quelconque, mais de façon explicite la connaissance de la nature et de l’étendue de l’obligation.

Civ.1, 16/6/1987 précise qu’il faut tenir compte, pour apprécier le caractère non équivoque de l’engagement, de la qualité, des fonctions et des connaissances de la caution (appréciation in concreto).

Þ La mention manuscrite est une règle de preuve : en son absence, l’écrit vaut comme commencement de preuve par écrit. La mention manuscrite ne s’applique qu’à la seule obligation de règlement : une mention dactylographiée sera toujours suffisante en ce qui concerne l’obligation de couverture.

C/ La mention manuscrite dans la législation contemporaine.

De multiples réformes sont intervenues sur des opérations très spécifiques, à propos du cautionnement sous seing privé. La législation contemporaine a ainsi fait de la mention manuscrite, une règle de forme : lorsqu’une disposition spéciale de la loi est en cause, l’absence de forme libère entièrement la caution. Mais, en l’absence de texte spécial, le droit commun fixé par la jurisprudence s’appliquera.

1) Les règles de forme quant à la validité du cautionnement.

L’art.313-7 du code de la consommation prévoit que, pour un crédit à la consommation ou un crédit immobilier, le cautionnement doit être donné par écrit avec une signature et la reproduction manuscrite de la formule légale : si la caution ne recopie pas exactement le texte prévu, son engagement est nul.

Þ Le non respect de cette règle étant sanctionné par une nullité, il s’agit d’une règle de forme.

L’art.21-2 de la loi du 6/7/1989 modifié en 1994 (relatif aux baux d’habitation) prévoit que la caution qui garantie le paiement des loyers du locataire doit recopier la formule qui figure à l’art.22-1, et ce, à peine de nullité de son engagement.

2) Les règles de forme relatives au bénéfice de discussion.

Dans le crédit à la consommation ou le crédit immobilier, la caution ne peut renoncer au bénéfice de discussion que par une mention manuscrite. L’art.313-8 du code de la consommation sanctionne le défaut d’une telle mention en réputant non écrite, la clause relative à la renonciation du bénéfice de discussion.

En cas de pluralité de caution, si le bénéfice de division est en cause, faute de réglementation dans le code de la consommation, le droit commun s’appliquera : la caution doit y renoncer de manière expresse, mais une clause dactylographiée suffit.

Þ Le législateur et la jurisprudence ont pris des orientations différentes : pour la jurisprudence, la mention manuscrite est une règle de preuve, qui en cas de déficience, devra être complétée par d’autres éléments de preuve (lettre, témoignage,…). Pour le législateur, il s’agit d’une règle de forme : si la mention manuscrite n’est pas correctement recopiée par la caution, son engagement est nul.

Cette divergence de solution tient au caractère catégoriel de la législation actuelle, qui tend souvent à protéger les cautions personnes physiques (qui ont garanti un crédit ou loyer). La tendance caractéristique du droit des obligations apparaît : protéger les catégories de personnes présumées être en état de faiblesse.