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Le gage


C’est une sûreté relativement efficace mais qui oblige le débiteur à remettre son bien au créancier (il en devient possesseur, et pourra le faire vendre si le débiteur ne paye pas à échéance). Le législateur contemporain a créé des gages dits modernes, dans lesquels le débiteur n’est pas dépossédé de son bien.
§1 : Le gage avec dépossession.

Selon l’art.2071 c.civ., le gage « est un contrat par lequel un débiteur remet une chose à son créancier pour sûreté de la dette ». Le débiteur perd la possession du bien mais en conserve la propriété. Le créancier entre en possession du bien, ce qui lui accorde un droit de préférence en cas de défaillance du débiteur.

A/ La formation du contrat de gage.

1) Les conditions de validité du contrat.

Le contrat de gage est un contrat réel qui suppose une remise de la chose, et un contrat accessoire qui suppose l’existence d’une dette pesant sur le débiteur principal à l’égard du créancier.

a_ L’existence de la créance garantie.

La créance garantie doit nécessairement exister puisque le gage n’en est que l’accessoire, mais, en pratique, elle peut être future et même éventuelle (dépôt de garantie remis par le locataire au bailleur,…). Elle doit alors être déterminée ou déterminable.

b_ Les biens susceptibles d’être donnés en gage.

Le constituant du gage doit être propriétaire du bien dont il remet la possession à son créancier. Si un débiteur gage un bien dont il n’a pas la propriété, le créancier gagiste dispose d’une protection : s’il est de bonne foi, il pourra se prévaloir de l’art.2279 c.civ. pour opposer sa possession au véritable propriétaire.

Le gage ne peut porter que sur un meuble corporel certain, car l’art.2071 c.civ. impose la remise de la chose, ce qui suppose une détention : il ne peut donc porter sur des choses de genre ou des choses futures (elles ne peuvent être remises faute d’individualisation ou d’existence), ni sur un bien incorporel (un fond de commerce,…). Enfin, les immeubles (par nature ou par destination) sont pareillement exclus du gage.

c_ La remise du bien.

Les art.2071 et 2076 c.civ. exigent une remise du bien : cette condition de validité du gage en fait un contrat réel (contrat solennel). Faute de remise de la chose, le contrat est nul de nullité absolue.

La chose peut être directement remise au créancier, mais elle peut aussi être remise à un tiers convenu. Cet entiercement (remise de la chose à un tiers qui détient pour le compte du créancier) présente deux avantages :          – le créancier ne dispose souvent ni des locaux pour remiser le bien, ni des compétences pour en assurer la conservation. Le tiers conserve le bien gagé dans des « magasins généraux ».

– l’entiercement permet de gager la chose au profit de plusieurs créanciers gagistes. Ce sera le cas lorsque la valeur de la chose est notablement supérieure à la valeur de la créance.

Þ Ce qui compte, c’est la dépossession du débiteur. Elle a deux fonctions : attirer l’attention du débiteur sur sa dépossession, et avertir les tiers par une mesure de publicité rudimentaire.

2) Les conditions d’opposabilité.

Elles visent à forcer le tiers à respecter le contrat conclu entre le créancier gagiste et son débiteur, en l’empêchant d’être victime d’une apparence trompeuse. L’opposabilité est assurée par la dépossession : elle vise à protéger le gagiste mais aussi les tiers, car un débiteur peut être tenté de rompre l’égalité entre les créanciers chirographaires en constituant un gage juste avant la saisie du bien par un créancier.

Devant ce risque de fraude, le législateur exige une publicité, et l’art.2074 c.civ. impose deux conditions d’opposabilité :      – la rédaction d’un écrit contenant une créance déterminée et la description de la chose gagée. Cela empêche le gagiste et le débiteur d’échanger un bien contre un autre de plus grande valeur.

– l’écrit doit avoir une date certaine : afin d’empêcher que le contrat de gage soit antidaté, il doit être soit authentique, soit enregistré au Trésor Public. Toutefois, cette exigence n’est pas requise pour les gages commerciaux (lorsque le bien est remis afin de garantir une dette commerciale).

Þ La sanction de l’irrespect de ces deux conditions cumulatives consiste dans l’inopposabilité du gage : le tiers créancier pourra alors saisir le bien même entre les mains du créancier gagiste.

B/ Les effets du gage.

Le gage est une sûreté conventionnelle, mais aussi une sûreté réelle accessoire : il faut distinguer les effets résultant du contrat de gage, de ceux résultant du droit réel conféré au gagiste.

1) Les obligations nées du contrat de gage.

a_ Les obligations certaines du créancier gagiste.

Le créancier gagiste est tenu de conserver la substance de la chose (art.2080 et 2082 c.civ.), cette obligation s’appréciant in abstracto : il est tenu comme un bon père de famille (personne raisonnablement diligente). En outre, il répond des dégradations ou détériorations qui lui sont imputables.

Le créancier gagiste ne doit pas user du bien : le bien gagé ne profite donc ni au débiteur privé de sa possession, ni au créancier lequel est un possesseur privé de l’usage de la chose.

b_ L’obligation éventuelle du débiteur.

En vertu de l’art.2080 c.civ., le gagiste a le droit de se faire rembourser les impenses qu’il a pu exposer sur la chose, faute de quoi il y aurait enrichissement sans cause. L’étendue de l’indemnité du créancier dépend de la nature des impenses réalisées : pour les impenses nécessaires, on rembourse la dépense faite (somme déboursée) ; pour les impenses utiles, on rembourse le profit subsistant (plus value).

2) Le droit réel de gage.

a_ Le droit de conserver la chose jusqu’au paiement.

a/ Le droit de suite.

Le droit de suite signifie que le titulaire d’un droit réel a le droit de saisir ce bien entre les mains d’un tiers détenteur. En théorie, le créancier gagiste peut obtenir restitution du bien de la part d’un tiers acquéreur ou d’un tiers quelconque (loueur,…), mais :       – le gage suppose une possession du créancier : en cas de perte volontaire de cette possession, l’art.2076 c.civ. prévoit l’extinction du gage. Le créancier gagiste perd alors tout droit réel et, par voie de conséquences tout droit de suite.

– le gage ne peut porter que sur un bien meuble corporel certain : le tiers acquéreur de bonne foi peut opposer l’art.2279 al1 c.civ. au créancier gagiste ; en cas de vol du bien gagé, le gagiste ne pourra revendiquer le bien que pendant 3 ans (art.2279 al2 c.civ.), sauf à payer le prix à celui qui a acquis le bien dans un marché (art.2280 c.civ.).

Þ Le créancier gagiste ne dispose pas d’un droit de suite très efficace : il peut certes agir en revendication comme le propriétaire du meuble corporel, mais uniquement lorsque sa dépossession est involontaire.

b/ Le droit de rétention.

Le créancier gagiste peut retenir la chose jusqu’au paiement intégral de sa dette par le débiteur.

· L’opposabilité au débiteur du droit de rétention :         – selon l’art.2083 c.civ., le paiement partiel du débiteur ne contraint pas le créancier à restituer partiellement la chose (lorsqu’elle est divisible). Le droit de rétention attaché au gage est donc indivisible.

– l’art.2082 al2 c.civ. prévoit que, si le débiteur contracte une seconde dette avant le paiement de la première, le créancier gagiste a le droit de retenir la chose gagée (pour la première créance) jusqu’au paiement de la seconde créance. Le créancier perd sa qualité de gagiste car la dette initiale est payée, mais devient rétenteur.

Ce droit de rétention connaît toutefois une limite : le créancier gagiste qui commet un abus (utilise le bien gagé, ne veille pas à sa conservation,…) sera déchu de son droit de rétention (art.2082 al1 c.civ.).

· L’opposabilité aux tiers du droit de rétention : le droit de rétention est particulièrement efficace dans les relations du créancier gagiste avec les autres créanciers du débiteur. Dès lors que le créancier gagiste déclare sa créance au passif (faute de quoi il est forclos : la dette étant éteinte, il doit restituer le bien gagé), il peut opposer son droit de rétention, y compris aux créanciers bénéficiant d’un privilège préalable au sien (le Trésor public ou les salariés ont le droit d’être payés avant le créancier gagiste).

En opposant sa rétention aux autres créanciers, le gagiste conserve le bien et ouvre une option aux autres créanciers :        – s’ils ne font rien, ils perdent la valeur du gage, car, tant qu’il n’est pas payé, le gagiste peut interdire la saisie de la chose détenue. Cette situation nuit à tout le monde.

– si les créanciers privilégiés décident de payer le créancier gagiste, il restituera le bien gagé.

Þ Ce droit de rétention donne une faculté de blocage très efficace au créancier gagiste, qui ne sera contraint de se dessaisir que si le débiteur est en redressement judiciaire : l’administrateur ou le liquidateur pourra saisir le bien gagé, à condition que le créancier gagiste soit préalablement payé. En opposant son droit de rétention, le gagiste est assuré soit de bloquer les autres créanciers, soit d’obtenir paiement. Il a intérêt à détenir un bien d’une valeur notablement supérieure au montant de sa créance.

b_ Le droit de réaliser son gage en cas de défaillance du débiteur.

Le créancier gagiste est en droit d’affecter la chose au paiement de sa créance. En réalisant son gage, il prend un risque qui doit être soigneusement calculé car tout dépend de la présence ou non de créanciers titulaires d’un droit de préférence primant le sien. Il peut réaliser son gage de deux façons.

· La vente forcée du bien gagé : le gagiste peut faire vendre les biens du débiteur, et dispose d’un droit de préférence sur le prix de vente du bien gagé, ce qui lui permet d’être payé avant les chirographaires.

Le gagiste étant déjà possesseur du bien, il n’a pas besoin de le faire saisir le bien : il lui suffit d’obtenir une autorisation judiciaire pour le faire vendre, cette vente forcée devant obligatoirement se faire aux enchères publiques (art.2078 al1 c.civ.). A contrario, la clause de voie parée (permettant au créancier de faire vendre la chose à l’amiable sans autorisation de justice) est interdite, ce qui vise à protéger le débiteur : en effet, rien n’incite le créancier à obtenir un prix supérieur au montant de sa créance.

Þ Les effets de la vente forcée : le créancier gagiste bénéficie d’un droit de préférence, mais qui est primé par certains créanciers privilégiés. Le recours à la vente forcée du bien gagé ne présente donc d’intérêts qu’en l’absence de créanciers privilégiés, car en sollicitant la vente forcée du bien, le gagiste perd son droit de rétention, et risque alors d’être primé par les autres.

· L’attribution du gage au créancier gagiste : c’est un droit de préférence particulier, en ce qu’il est exercé sur la chose elle-même. Le créancier gagiste impayé demande en justice l’attribution du gage en paiement, après estimation d’experts (art.2078 al1 c.civ.).

Cette attribution judiciaire permet d’échapper au risque d’être primé par les créanciers privilégiés. Toutefois, le créancier gagiste devient propriétaire d’un bien dont il n’a pas l’utilité, et au besoin en devant verser une soulte importante (différence entre le montant de sa créance, et l’estimation judiciaire).

Þ Cette attribution du gage est souvent préférable à la vente forcée, car au moins, le gagiste obtient un bien. La loi du 25/1/1985 relative à la faillite a rendu la faculté d’attribution judiciaire plus délicate, car l’interdiction de tout paiement pendant la période d’observation et l’interdiction des poursuites individuelles rendent irrecevables toute demande d’attribution judiciaire : le créancier gagiste doit donc attendre la fin de la période d’observation.

L’expertise nécessitée par cette attribution judiciaire est une garantie pour le débiteur, ce qui explique que l’art.2078 al2 c.civ. interdise tout pacte commissoire (convention par laquelle un créancier se voit attribuer de plein droit un bien en cas de non-paiement par le débiteur). L’estimation par expert protège le débiteur, en visant à interdire toute estimation du bien à une valeur très inférieure à sa valeur réelle.

C/ L’extinction du gage.

Elle peut se faire par voie principale lorsque le gage disparaît alors que la dette principale reste due, ou par voie accessoire lorsque le paiement du débiteur entraîne restitution de la chose gagée.

1) L’extinction par voie principale.

Le gage s’éteint par voie principale (anormal) :         – lorsque le créancier gagiste commet un abus : il est déchu de son gage s’il ne veille pas à la conservation de la chose, ou s’il l’utilise (art.2082 c.civ.).

– lorsque le créancier gagiste perd la possession du bien gagé (art.2076 c.civ.) : le gage supposant une possession permanente du gagiste, il s’éteindra si le gagiste remet la chose sans être payé.

2) L’extinction par voie accessoire.

Le créancier gagiste est payé : il doit donc restituer la chose conservée en garantie.

A la différence du cautionnement, la dette payée ne peut pas s’éteindre par la prescription, car la possession du gagiste équivaut à une reconnaissance tacite et permanente de dette de la part du débiteur. En revanche, la dette principale sera éteinte si le créancier gagiste ne déclare pas sa créance au passif : il s’agit d’une forclusion et non pas d’une prescription.

L’art.2082 al2 c.civ. prévoit un limite : si une seconde dette naît avant le paiement de la première, le gagiste pourra retenir la chose, mais en tant que rétenteur, il ne peut pas obtenir d’attribution judiciaire, et ne dispose d’aucun droit de préférence.

Conclusion sur le gage avec dépossession :      – c’est une sûreté relativement efficace, mais le droit de suite et le droit de préférence ne sont pas les plus recherchés. En effet, le droit de suite existe à peine (les tiers peuvent se prévaloir de l’art.2279 c.civ.), et le droit de préférence dont dispose le gagiste est primé par d’autres créanciers privilégiés en cas de vente forcée du bien. La meilleure garantie pour le gagiste reste le droit de rétention (droit de blocage). Ce droit a pris une telle importance après 1804, en raison du droit de la faillite et de la multiplication des privilèges accordés par la loi à certains créanciers.

– le législateur impose un certain équilibre dans les relations entre le créancier et son débiteur, en interdisant la clause de voie parée (vente amiable du bien) et le pacte commissoire (attribution du bien sans autorisation judiciaire). Cette double interdiction vise à interdire au créancier gagiste de dilapider la chose gagée pour une valeur très inférieure à sa valeur réelle.
§2 : Le gage sans dépossession.

Les gages sans dépossession diffèrent des gages traditionnels sur trois points. Ils se caractérisent ainsi par :       – leur spécialité : le gage avec dépossession peut porter sur n’importe quel bien meuble corporel, alors que le gage sans dépossession ne peut porter que sur certains biens limitativement énumérés par la loi, peu important leur nature. Il peut ainsi porter sur des meubles corporels ou incorporels, voire futurs.

– l’absence de dépossession : la nature et les conditions de ces gages en sont radicalement transformées. La protection du gagiste et l’opposabilité aux tiers doivent être organisées différemment : une publicité ad hoc est destinée à informer les tiers, qui, réputés informés des droits du gagiste, seront considérés de mauvaise foi s’ils acquièrent le bien du débiteur, qui a priori peut le vendre.

– l’absence de régime propre à ces différents gages. Il n’est pas possible de construire une théorie générale du gage sans dépossession : le créancier gagiste dispose parfois d’un droit de suite, parfois d’un droit de rétention,… Cette multitude de régime spéciaux est due à l’influence des milieux professionnels (lobbies), qui réclament des gages sans dépossession, mais, déçus par leur efficacité, les pratiquent peu.

A/ Les gages des véhicules automobiles à moteur.

Le gage des véhicules automobiles à moteur est né sous la pression du lobby des vendeurs automobiles, qui n’étaient pas satisfait des garanties et sûretés de droit commun (gage avec dépossession). Ils ont d’abord inséré une clause de réserve de propriété, prévoyant que le vendeur reste propriétaire de la voiture jusqu’au paiement complet du prix par l’acquéreur, mais cette clause n’était pas efficace en cas de « faillite » du débiteur, la législation antérieure à 1967 rendant cette clause inopposable à la masse des créanciers, ce qui lui retirait tout intérêt pratique.

Le décret du 30/9/1953 a donc conféré un droit de gage fictif au vendeur à crédit d’automobiles. Il ne s’agit pas véritablement d’un gage, mais plutôt d’un privilège (sûreté légale, et non pas conventionnelle) : normalement, le gage résulte d’une convention conclue entre le débiteur et son créancier gagiste, or, ici, le vendeur à crédit constitue le gage sans l’accord du débiteur.

1) Les conditions du gage sur les véhicules automobiles à moteur.

a_ Les conditions de formation.

Les biens susceptibles d’être gagés : ils comprennent uniquement les véhicules automobiles à moteur lesquels sont assujettis à une immatriculation obligatoire.

La créance garantie : c’est uniquement celle dont dispose le vendeur à crédit d’automobiles, ou le préteur de denier qui a permis l’acquisition comptant de ce véhicule.

Les conditions de forme : elles sont exigées à peine de nullité du gage, afin de protéger les tiers. Elles reprennent pour l’essentiel celles exigées dans le gage traditionnel : un écrit ayant date certaine (protège contre le risque d’antidate) qui permet d’individualiser la créance, et qui désigne le bien gagé (le véhicule). Par définition, ce gage étant une sûreté légale, l’écrit est un acte juridique unilatéral et non pas un contrat.

b_ Les conditions de publicité.

Les conditions de publicité sont nécessaires pour rendre le gage opposable aux tiers : l’acquéreur du véhicule étant possesseur de son bien, et, le véhicule automobile étant un meuble corporel certain, les tiers pourraient être victimes d’une apparence trompeuse, et tentés d’invoquer l’art.2279 c.civ.

Le vendeur à crédit doit faire publier son droit de gage sur un registre spécial, tenu à la Préfecture du lieu d’immatriculation du véhicule. Cette inscription doit être faite dans les 3 mois de la délivrance de la carte grise, et dure 5 ans renouvelables. Elle sert à avertir les tiers, mais aussi mettre le créancier en possession fictive du véhicule.

2) Les effets du gage sur les véhicules automobiles à moteur.

a_ Les obligations du débiteur.

Le débiteur doit : – veiller à la conservation de la chose : il en est possesseur (pas de dépossession).

– remettre le véhicule au créancier gagiste dès qu’il le demande, suite à un défaut de paiement. On en déduit que le débiteur ne peut pas aliéner son véhicule (décret de 1953 ne dit rien).

Þ La violation de ces obligations par le débiteur est sanctionnée pénalement : l’art.314-5 du code pénal puni ce délit de détournement de bien gagé, de 3 ans d’emprisonnement et de 2.5 millions d’amende.

b_ Les droits réels du créancier.

a/ Le droit de préférence.

Le droit de préférence du créancier gagiste sur les véhicules automobiles à moteur est identique à celui dont bénéficie le gagiste dans le gage avec dépossession.

Il peut donc réaliser le gage par la vente forcée, laquelle suppose une autorisation judiciaire (risque d’être primé par des créanciers privilégiés mieux placés que lui), ou obtenir l’attribution judiciaire du véhicule, ce qui suppose une estimation d’experts (impossible pendant la période d’observation).

b/ Le droit de suite.

Le droit de suite permet au créancier de saisir le bien en quelques mains qu’il se trouve.

Le véhicule étant un meuble corporel certain, le tiers acquéreur pourrait être tenté d’invoquer l’art.2279 c.civ., d’autant plus que le débiteur est propriétaire et possesseur du véhicule. C’est pourquoi le gage sur véhicules automobiles fait l’objet d’une publicité (inscription sur le registre tenu à la Préfecture qui délivre la carte grise) : le tiers acquéreur sera considéré de mauvaise foi (art.2279 c.civ. inapplicable) s’il acquiert un véhicule sans obtenir de carte grise, or la Préfecture refusera de la délivrer si un gage est inscrit.

Civ.1, 20/3/1990 : « l’art.2279 c.civ. ne permet pas au sous-acquéreur de bonne foi d’un véhicule, d’éviter la menace d’éviction par le créancier bénéficiant d’un gage sur véhicule automobile à moteur, ce gage étant opposable aux tiers par son inscription ». Le créancier dispose donc du droit de suite sur le véhicule gagé : la publicité organisée par le décret de 1953 permet d’écarter l’application de l’art.2279 c.civ.

g/ Le droit de rétention.

Le droit de rétention du créancier gagiste sur véhicule automobile à moteur est reconnu par le décret de 1953 : l’art.2 prévoit que le créancier sera réputé avoir conservé la marchandise en sa possession.

Cet article instaure une fiction légale : ce droit de rétention fictif est particulièrement intéressant pour le créancier, car, en tant que rétenteur, il peut s’opposer à la vente poursuivie par un autre créancier même de rang préférable, et comme le créancier gagiste avec dépossession, il peut interdire toute saisie du véhicule. En cas de procédure collective, l’administrateur ou le liquidateur ne pourra aliéner le bien, qu’après avoir payé le gagiste.

Conformément au droit de rétention traditionnel, ce droit de rétention fictif est perdu si le créancier poursuit la vente forcée du véhicule.

En cas de conflit entre un rétenteur fictif et un rétenteur effectif, la jurisprudence décide que le droit de rétention effectif l’emporte sur le droit de rétention fictif. Ex : le débiteur confie son véhicule à un garagiste, lequel dispose d’un droit de rétention sur le véhicule jusqu’à complet paiement du prix.

Conclusion sur le gage sur véhicules automobiles à moteur : bien que ce gage sans dépossession, mais publié, confère au gagiste de véritables droits réels (droits de préférence, de suite et de rétention), il est de moins en moins utilisé depuis quelques années, en raison d’un facteur extérieur au gage. Ce gage avait été créé, car les créanciers ne pouvaient pas opposer la clause de réserve de propriété à la faillite. Or, depuis notamment la loi de 1985 sur la faillite, la clause de réserve de propriété est désormais opposable à la faillite. Les vendeurs à crédit d’automobile utilisent donc de nouveau la clause de réserve de propriété, et délaissent le gage sur véhicule automobile à moteur.

B/ Les autres nantissements sans dépossession.

Les nantissements de fond de commerce, et du matériel d’équipement sont de véritables gages, c’est-à-dire des sûretés conventionnelles : le débiteur et le créancier gagiste doivent conclure une convention.

1) Le nantissement de fond de commerce (ou de fond artisanal).

Le nantissement de fond de commerce porte sur un bien incorporel, donc insusceptible de faire l’objet d’un gage traditionnel. La loi du 17/3/1909 permet à un commerçant de donner son fond de commerce en gage, tout en continuant à l’exploiter. La loi du 5/7/1996 a étendu ce nantissement au fond artisanal.

a_ Les conditions du nantissement de fond de commerce.

L’assiette du gage porte sur le fonds de commerce, lequel comprend des biens incorporels (enseigne, nom commercial, droit au bail, clientèle) et des biens corporels (le matériel figurant dans le fond).

Les marchandises figurant dans le fond de commerce sont en revanche exclues de l’assiette de ce gage.

La créance garantie doit être indiquée, et un écrit ayant date certaine est exigée.

La publicité est une condition de validité du gage (et non seulement une condition d’opposabilité) : elle doit être faite dans les 15 jours de l’acte de nantissement, et elle est inscrite sur un registre spécial tenu au greffe du tribunal de commerce du lieu de situation du fond de commerce.

b_ Les effets du nantissement de fond de commerce.

Le créancier nanti de fond de commerce :      – ne bénéficie pas du droit de rétention : il ne peut donc pas bloquer les autres créanciers. Sa sûreté est donc beaucoup moins efficace que le gage traditionnel.

– ne peut se faire attribuer le fond de commerce en cas de défaillance du débiteur. Il peut en obtenir la vente forcée, mais risque d’être primé par d’autres créanciers.

Le créancier dispose :    – du droit de préférence sur le prix de vente du fond de commerce en cas de vente forcée. Toutefois, il risque d’être primé par des créanciers mieux privilégiés que lui, et le débiteur défaillant fait souvent l’objet d’une procédure collective de sorte que la valeur du fond est souvent atteinte.

L’assiette de la sûreté dont dispose le créancier dépend donc directement de l’activité du débiteur : plus les affaires se dégradent, plus la valeur du fond de commerce se réduit, rendant le droit de préférence du créancier nanti illusoire, alors que c’est à ce moment que les créanciers privilégiés deviennent le plus dangereux et absorbent toute la valeur résiduelle du fond de commerce.

– du droit de suite : la publicité rend le gage du créancier nanti de fond de commerce opposable à tout tiers acquéreur, et lui permet de faire saisir le fond, même en cas d’aliénation.

Þ Le nantissement de fond de commerce est un gage peu efficace (il ne confère ni droit de rétention ni droit d’obtenir l’attribution judiciaire du fond) et peu sûr (le droit de préférence en cas de vente forcée du bien est souvent illusoire) : pour un créancier, l’utilité d’une sûreté réelle c’est d’obtenir un bien dont la valeur ne dépend pas de l’activité du débiteur.

2) Le nantissement du matériel d’équipement.

Le nantissement du matériel d’équipement est un gage sans dépossession, qui porte sur des meubles corporels : il a été introduit par la loi du 18/1/1951 afin d’offrir du crédit aux investisseurs lors de la reconstruction de la France après 1945.

a_ La constitution du nantissement du matériel d’équipement.

Le nantissement du matériel d’équipement :  – ne peut être consenti que par un débiteur professionnel pour les besoins de son entreprise. Les créances garanties ne peuvent résulter que d’une vente à crédit ou d’un prêt destiné à acquérir le matériel d’équipement.

– les biens susceptibles d’être gagés ne comprennent que l’outillage ou le matériel d’équipement professionnel.

Þ Le nantissement suppose un écrit ayant date certaine, à peine de nullité. Ce nantissement doit être établi dans les 2 mois suivant la livraison du matériel. La publicité est aussi une condition de validité : elle doit intervenir dans les 15 jours de la constitution du nantissement, et dure 5 ans renouvelable. Elle est inscrite sur un registre spécial tenu au greffe du tribunal de commerce.

b_ Les obligations du débiteur.

Le débiteur doit veiller à la conservation de la chose et doit la restituer au créancier impayé : il ne peut ni déplacer, ni aliéner le matériel d’équipement, ni mettre un tiers en possession de ce matériel.

Le matériel d’équipement étant un meuble corporel, il existe un risque de conflit avec l’art.2279 c.civ. si un tiers invoque sa possession à titre de propriété ou de possesseur. Il est donc interdit au débiteur de perdre la possession sur ce matériel afin qu’un tiers ne puisse jamais se prévaloir de l’art.2279 c.civ.

c_ Les droits du créancier nanti du matériel d’équipement.

Le créancier nanti du matériel d’équipement ne dispose d’aucun droit de rétention, mais il peut obtenir l’attribution judiciaire du bien en cas de défaillance du débiteur.

Il dispose d’un droit de préférence, qui exceptionnellement prime le fisc et la sécurité sociale.

Son droit de suite est restreint : il ne peut revendiquer que contre un tiers de mauvaise foi, car le tiers de bonne foi peut opposer l’art.2279 c.civ. Le créancier nanti peut toutefois apposer une plaque sur le matériel, ce qui permet de constituer le tiers de mauvaise foi (si la plaque n’est pas retirée).

Conclusion sur le nantissement sur le matériel d’équipement : ce gage est plus efficace que celui sur fond de commerce. Aucun de ces gages ne confère de droit de rétention, mais l’assiette du nantissement sur le matériel d’équipement ne dépend pas des mauvaises affaires du débiteur. De plus, le droit préférentiel est bien classé même par rapport aux autres créanciers gagistes.

Malgré ses avantages, le nantissement sur le matériel d’équipement est peu utilisé : les créanciers préfèrent utiliser la clause de réserve de propriété (désormais opposable à la faillite).

C/ Les gages sur créances ou droits assimilés.

Le gage sur créances ou droits assimilés est particulier, en ce qu’il porte sur un bien incorporel et sur un droit de créance (un droit personnel contre un sous-débiteur) et non pas sur un droit réel.

1) Le gage sur créance du code civil (gage sur créance ordinaire).

a_ La constitution du gage sur créance ordinaire.

L’art.2075 c.civ. réglemente la constitution du gage sur créance ordinaire, en reprenant pour l’essentiel les conditions du gage avec dépossession : la créance mise en gage doit être déterminée, l’écrit doit avoir date certaine, la dette du débiteur doit être déterminée. Cet article est muet sur la remise du titre constatant la créance : la jurisprudence exige qu’il soit remis au créancier gagiste (sorte de dépossession).

L’art.2075 c.civ. impose en plus une signification au sous-débiteur, par acte extra-judiciaire. Elle joue le rôle de la publicité à l’égard de ce sous-débiteur, qui sait qu’il ne devra pas payer son propre créancier.

b_ L’effet du gage sur créance ordinaire.

· La créance gagée vient à échéance avant la créance garantie : le prix ne peut plus être perçu par le débiteur principal (il n’est plus possesseur de la créance), ni par le gagiste (extinction par voie accessoire).

Le sous-débiteur doit faire consigner la somme, ce qui est une formalité à la fois lourde et coûteuse.

· La créance gagée vient à échéance après la créance garantie :     – si le débiteur principal a réglé sa dette au créancier, il faut avertir le sous-débiteur (acte extra-judiciaire) qu’il doit payer au créancier originel ;

– si le débiteur principal est défaillant, le créancier gagiste doit se faire attribuer judiciairement la créance (formalité lourde et coûteuse).

Þ Le gage sur créance ordinaire est lourd, coûteux, et inefficace.

2) Le nantissement des créances professionnelles.

Les banquiers ayant demandé à obtenir un gage sur créance efficace, la loi Dailly du 2/1/1981 a permis de donner en gage des créances professionnelles, selon deux modalités : la cession de créances (qui relève de l’étude de la fiducie-sûreté) et le nantissement des créances professionnelles, par lequel le banquier devient simplement créancier gagiste des créances cédées (et non pas propriétaire).

Ce type de nantissement est très rare, car, comme pour le gage sur véhicule automobile ou sur matériel d’équipement, le créancier préfère obtenir une sûreté fondée sur la propriété plutôt que sur le gage.

Conclusion de la section 1 sur le gage : le gage est une sûreté relativement efficace.

· Le gage avec dépossession est une sûreté relativement sure, mais moins en raison du droit de préférence et du droit de sûreté qu’en raison du droit de rétention dont bénéficie le créancier gagiste.

Il présente deux inconvénients : afin de contraindre les autres créanciers privilégiés à le payer, le gagiste doit gaspiller le crédit de son débiteur, car il a intérêt à détenir un bien d’une valeur notablement supérieure à sa créance ; le débiteur ne doit pas avoir besoin du bien gagé (et donc autant le vendre).

· Le gage sans dépossession apparaît moins efficace : l’absence de dépossession impose une publicité, effectuée à bref délai après la constitution du gage, sur un registre spécial destiné à informer les tiers.

Mais, cette publicité n’est pas toujours très efficace, et le droit de préférence a perdu de son attrait en raison de la concurrence d’autres créanciers privilégiés mieux placés.

Þ Dans le gage contemporain, l’intérêt essentiel est de disposer d’un droit de rétention effectif (gage avec dépossession) ou fictif (gage sur véhicules automobiles). Ce droit de rétention est en réalité l’aspect le plus efficace du gage car il permet d’obtenir un droit réel sur la chose (usus au sens technique du terme).