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Les garanties nationales des libertés publiques


§1 : Les garanties juridictionnelles.

A/ La garantie du juge constitutionnel.

Il doit protéger les libertés publiques reconnues par la constitution des atteintes du législateur. Lors de ce contrôle de constitutionnalité des lois, il a pu constitutionnaliser certaines libertés.

1) Les principes et les modalités de son contrôle.

Les principes de primauté de la constitution et de la souveraineté de la loi, expression de la volonté générale s’opposent du fait de ce contrôle. En France, le CE et la Cour de cassation ont longtemps refusé de contrôler la conformité d’une loi à la constitution, et les organes mis en place pour cette mission (Sénat impérial ; Comité constitutionnel) n’ont pas rempli correctement leurs missions.

Ce contrôle apparaîtra en 1958 avec la création du Conseil constitutionnel, mais jusqu’au 16/7/1971, il sera purement formel (conformité de la loi aux seuls articles de la constitution). Par la suite, le Conseil constitutionnel intégrera le préambule (et les textes de renvoi) dans le bloc de constitutionnalité, ce qui permettra une intensification du contrôle, surtout après 1974 avec une plus large possibilité de saisine.

2) L’efficacité de son contrôle.

Depuis 1971, le Conseil a consacré bon nombre de libertés, censurant les dispositions législatives qui les méconnaissait :        – libertés de la personne : liberté individuelle (1977), liberté d’aller et venir (1979), y compris pour les étrangers (1992), inviolabilité du domicile, droit d’asile, droit au respect de la vie privée.

– libertés de l’esprit : liberté d’opinion (1977), de l’enseignement (1977),…

– libertés collectives : liberté d’association (1971), droit de grève,…

Il a invalidé peu de lois ayant méconnu des libertés économiques et sociales, sauf le droit de propriété et la liberté d’entreprendre. Il a fixé des limites à certaines libertés, qui doivent respecter « des objectifs de valeur constitutionnelle ». La liberté de communication audiovisuelle rencontre ainsi des limites dans les « objectifs de valeur constitutionnelle » que sont la sauvegarde de l’ordre public, le respect de liberté d’autrui et la préservation du caractère pluraliste des courants d’opinion.

Critiques : – ce contrôle ne porte que sur des lois non promulguées.

– les dispositions constitutionnelles consacrées aux libertés publiques sont souvent très générales, parfois anciennes (DDHC) : le Conseil doit les interpréter, et il existe alors un risque de divergence d’avec la volonté des constituants = risque de « gouvernement des juges ».

– ce contrôle ne concerne ni les lois référendaires, ni les traités et accords internationaux.

– le Conseil constitutionnel ne peut être saisi par de simples citoyens. Une tentative visant à permettre de soulever l’exception d’inconstitutionnalité à l’occasion d’un procès a échoué en 1990.

B/ La garantie du juge administratif.

1) L’étendue de sa compétence.

Il est compétent pour sanctionner les atteintes aux libertés publiques qui sont le fait de l’Administration. Un particulier peut lui demander l’annulation de l’acte par la voie du REP, ou obtenir la réparation du préjudice subi par le recours de plein contentieux quand l’acte est constitutif d’une faute. Le juge judiciaire est exclusivement compétent en cas de voie de fait de la part de l’administration, et a une compétence concurrente avec le juge administratif pour toute atteinte d’une autre nature.

L’article 66 de la constitution prévoit que nul ne peut être arbitrairement détenu, et attribue le respect de ce principe à l’autorité judiciaire. L’article 136 du code de procédure pénale semble retirer de la sphère de compétence du juge administratif toute atteinte aux libertés individuelles.

Pour le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation, le juge judiciaire est exclusivement compétent en matière de libertés individuelles. Le Conseil d’Etat et le Tribunal des conflits (avant TC, 9/6/1986 Eucat) estiment que le juge pénal a plénitude de compétence pour apprécier la légalité d’une mesure portant atteinte à une liberté publique, l’interpréter et pour sanctionner toute atteinte à cette liberté. L’article 1115 du nouveau code de procédure pénale attribue compétence aux juridictions pénales pour interpréter les actes administratifs et pour en apprécier la légalité quand la solution du procès dépend de cet examen.

Si le juge civil est saisi, il n’est compétent que pour accorder une réparation à la victime, le juge administratif conservant sa compétence pour interpréter un acte qui porte atteinte à la liberté, et pour en apprécier la légalité. D’après le CE, l’article 136 du code de procédure pénale doit être interprété comme interdisant d’élever le conflit à la seule action en réparation du dommage.

2) L’efficacité de son contrôle.

Le juge administratif est un bon protecteur des libertés publiques face à l’administration. Dans certains cas (atteintes à la liberté religieuse au début du siècle), il a même été plus protecteur que le juge judiciaire, n’hésitant pas à annuler les actes contraires aux libertés (arrêts Benjamin, Daudignac,…).

Le contrôle du CE tend à s’intensifier : examen approfondi des libertés individuelles, contrôle renforcé pour des libertés qui n’étaient pas encore concernées,… Alors qu’il a longtemps considéré le refus de délivrer un passeport ou un arrêté d’expulsion comme des actes de gouvernement, il accepte aujourd’hui d’examiner ces actes, et censure les erreurs manifestes d’appréciation. Il a aussi renforcé son contrôle sur des décisions autrefois considérées comme des mesures d’ordre intérieur : règlement interne des établissements scolaires, sanctions en domaine militaire (CE, 17/2/1995 Hardouin et Marie)

Critiques : – son intervention suppose une action de la victime, or elle peut hésiter à s’adresser à lui.

– ses pouvoirs ont longtemps été limités à l’annulation de la décision, et à l’indemnisation du préjudice causé. Avant 1995, il refusait d’adresser des injonctions à l’administration.

– le recours n’est pas suspensif : la décision s’applique tant qu’il ne s’est pas prononcé au fond, et le sursis à exécution n’est pas attribué automatiquement. Or, il est parfois difficile d’effacer les conséquences d’un tel acte après son annulation.

– la lenteur à régler les affaires : la France a été condamné plusieurs fois par la CEDH, la cause des requérants n’étant pas examinée dans un délai raisonnable. Une fois que le juge s’est prononcé, l’administration doit exécuter la décision : une loi de 1980 reconnaît au juge administratif le droit de condamner l’administration à une astreinte, et une loi de 1995 lui permet de lui adresser une injonction.

C/ La garantie du juge judiciaire.

1) L’étendue de sa compétence.

Le juge judiciaire est compétent :         – s’agissant de la protection des libertés publiques, pour les rapports entre particuliers : en matière de respect de la vie privée, de droit du travail, de liberté syndicale,…

Le nouveau code de procédure pénale renforce les sanctions quand l’atteinte à ces libertés est le fait d’une personne exerçant une fonction publique (violation du secret de la correspondance,…).

– pour connaître le contentieux du fonctionnement des services judiciaires et de la police judiciaire.

– en cas de voie de fait (décision manifestement insusceptible de se rattacher à la compétence de l’administration) pour attribuer une réparation, et pour faire cesser la voie de fait. Le juge administratif peut seulement la constater. La notion de voie de fait n’est pas idéale : elle cesse de jouer en cas de circonstances exceptionnelles ou d’urgence ; elle est difficile à distinguer avec une décision illégale : il y a donc conflit de compétence, ce qui allonge la durée du procès.

Malgré tout, le juge administratif et le Tribunal des conflits restent fidèles à cette notion.

– en cas d’emprise immobilière (atteinte à la propriété immobilière).

2) L’efficacité du contrôle.

Le juge judiciaire ne peut se prononcer que si la victime la saisit.

La lenteur à rendre ses jugements : la France a été condamné par la CEDH (garde à vue, détention provisoire,… trop longues)

Le juge judiciaire effectue un contrôle moins poussé dans le cadre des actes de l’administration que dans celui du contrôle entre particuliers. Il est timide à l’égard de l’Administration qui porte atteinte aux libertés, quand il s’agit de la police judiciaire.

L’administration cherche parfois à limiter ou à écarter l’intervention du juge judiciaire dans ses affaires, en créant des juridictions d’exception (période de crise) ou en ayant abusivement recours à la procédure du conflit positif pour protéger ses agents en camouflant leur faute personnelle en faute de service.

TC, 9/7/1953 Nardon : l’administration a mis en œuvre la procédure de conflit pour retarder le cours de la justice. La loi du 17/7/1970 permet au juge judiciaire de prendre des mesures d’urgence pour empêcher les atteintes à la liberté privée.

Le juge judiciaire est donc compétent pour punir le coupable, libérer la victime, réparer le dommage ou le faire cesser.

§2 : Les garanties non juridictionnelles.

A/ Le recours au Médiateur de la république.

Son statut ressort de la loi du 6/2/1973 modifiée en 1976 et 1992. Cette AAI (Bernard Stasi depuis le 1/4/1998) est nommée par décret du Président pour un mandat de 6 ans non renouvelable. Seuls les parlementaires peuvent le saisir.

· Rôle d’intercesseur : il règle à l’amiable les différents nés entre les administrés et l’administration suite au mauvais fonctionnement cette dernière, qu’il s’agisse de l’administration d’Etat, des collectivités locales, des établissements publics ou de tout organisme investi d’une mission de service public.

Il a des pouvoirs de recommandation et d’investigation, et peut engager une procédure disciplinaire contre l’agent responsable de la difficulté, voire saisir le juge pénal. Il a un pouvoir d’injonction quand l’administration refuse d’exécuter une décision de justice. Il est l’ultime recours après épuisement des voies traditionnelles. Des délégués départementaux l’aident à régler les dossiers qui lui sont soumis. Les réclamations (45.000 par an) portent surtout sur les secteurs social et fiscal : il s’agit plus de maladresses ou d’incohérences, que de véritables atteintes au libertés publiques.

L’affaire Saint Aubin : en 7/1964, M. St Aubin est tué dans un accident, mais pour ses parents, il a été éliminé par erreur par les services secrets. Pendant 26 ans, les décisions de justice les déboutent. En 1981, une enquête ouverte par le Garde des Sceaux révèle que l’accident a été provoqué par la manœuvre imprudente d’un camion militaire, mais la prescription empêche de rouvrir le dossier. Le Médiateur leur accorde 500.000F de réparation en raison du mauvais fonctionnement du service de la justice.

· Rôle de promoteur de réforme : il propose des réformes en matière législative et réglementaire. Les lois du 17/7/1978 (communication des dossiers administratifs) et du 11/7/1979 (motivation des décisions administratives) lui sont en grande partie dues. Chaque année, il rédige un rapport remis au Président de la République, dans lequel il fait le bilan de l’action de l’année, et propose les réformes souhaitables.

B/ L’accès aux fichiers et le rôle de la C.N.I.L.

La loi du 6/1/1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés proclame que « l’informatique est au service de chaque citoyen. Elle ne doit porter atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques ». En outre, elle instaure la C.N.I.L. et reconnaît aux individus un droit d’accès aux fichiers répertoriant les informations qui les concerne.

1) La C.N.I.L.

Cette AAI est composée de 17 membres nommés pour 5 ans, ou pour la durée de leurs mandats dans le cas des élus : 2 sont élus par l’Assemblée nationale, 2 par le Sénat, 2 viennent du Conseil économique et social, 2 du CE, 2 de la Cour de cassation, 2 de la Cour des comptes, 2 personnes sont qualifiées dans le domaine de l’informatique, et 3 personnalités sont désignées en raison de leur autorité et compétences.

Elle donne des avis, prend des décisions, examine les réclamations, prend des sanctions ou transmet au Parquet les informations les plus lourdes. Elle a aussi une mission de réflexion sur les problèmes posés par l’informatique, et rend un rapport annuel.

La création de fichiers est libre pour les fichiers manuels, mais la CNIL intervient en cas de fichier informatisé. Une personne publique ou privée gérant un SP voulant créer un fichier, doit la saisir pour avis : s’il est défavorable, seul un avis conforme du CE peut passer outre. Une personne privée sera soumise à une déclaration préalable auprès de la CNIL, qui consiste en un engagement à respecter les exigences de la loi. La CNIL a une compétence liée pour délivrer sans délai le récépissé de déclaration dès lors que le dossier de déclaration est complet (CE, 6/1/1997 Caisse d’Epargne Rhone-Alpes Lyon).

Elle veille à ce que le contenu des fichiers, informatisés ou non, ne comporte pas d’éléments interdits : l’article 31 de la loi interdit la collecte d’informations relatives aux origines ethniques, aux opinions politiques, religieuses, philosophiques, aux mœurs ou à l’appartenance syndicale.

Des dérogations sont possibles : les groupements à caractère politique, religieux, philosophique ou syndical peuvent constituer un fichier de leurs membres et correspondants ; des motifs d’ordre public permettent de déroger, mais il faut un avis conforme de la CNIL et le fichier sera créé par décret en CE.

L’affaire du fichier des Renseignements Généraux : la CNIL avait accepté que des décrets autorisent les Renseignements Généraux à mettre en mémoire des données interdites. Suite aux réactions, le gouvernement les a abrogé : de nouveaux décrets autorisent les RG à ficher des « signes physiques particuliers objectifs inaltérables » (couleur de la peau, activité politique, religieuse, philosophique ou syndicale). Ces informations ne peuvent être utilisées qu’en cas d’atteinte à la sûreté ou sécurité de l’Etat.

2) Modalités d’exercice du droit d’accès aux fichiers.

Toute personne peut demander à tout organisme disposant d’un fichier (informatisé ou non), de lui communiquer les données qui le concerne. Sauf exception, un tiers ne peut y avoir accès.

Pour les fichiers intéressants la sûreté ou la sécurité de l’Etat (fichiers des Renseignements Généraux), il faut s’adresser à la CNIL qui va constater que les informations des fichiers ne sont pas erronées ou interdites, puis les communiquera à l’intéressé.

Elle vérifie que l’utilisation des fichiers est conforme à l’article 2 de la loi de 1978 : aucune décision administrative ou privée impliquant une appréciation sur un comportement humain ne peut avoir pour seul fondement un traitement informatisé d’informations donnant ainsi un profil de l’intéressé. La CNIL n’interdit pas la technique de la segmentation comportementale, mais considère qu’elle ne doit pas être utilisée pour prendre une décision inéluctable à l’égard de l’intéressé.

Lorsqu’elle constate une utilisation erronée, elle peut adresser un avertissement aux intéressés (Crédit Mutuel de Bretagne en 1998), ou ordonner aux détenteurs de fichiers de rectifier les données qui y figure.

Le bilan de la CNIL : il y a une forte croissance des plaintes de particuliers (2671 en 1998). Dans ses derniers rapports, elle s’inquiète de la multiplication des traces informatiques par le biais des cartes bancaires, téléphones portables, d’Internet,…

C/ La consultation des documents administratifs.

La loi du 17/7/1978 pose le principe de la liberté d’accès aux documents administratifs, qu’ils soient détenus par des personnes publiques, l’Etat, les collectivités locales, les Etablissements Publics ou des organismes privés chargés de l’exécution d’un service public. Cela couvre les dossiers, rapports, études, comptes-rendus, statistiques,… sauf ceux couverts par un secret (médical, fiscal, défense nationale,…) et les délibérations du gouvernement. Ce droit est reconnu à toutes les personnes physiques et morales françaises ou étrangères, et s’exerce par la consultation sur place ou par une demande de copie. Les documents à caractère nominatif ne peuvent être communiqués qu’aux personnes directement concernées. Les documents à caractère non nominatifs et couverts par aucun secret peuvent être communiqués à toute personne qui en demande l’accès.

La CADA veiller au respect de ce principe. Elle est composée de 10 membres (3 magistrats de la Cour des comptes, du CE et de la Cour de cassation ; un parlementaire de chaque chambre ; un représentant du Premier ministre ; un membre de Conseil municipal ; 2 hauts fonctionnaires et un professeur de l’enseignement supérieur), et est présidé par un conseiller d’Etat. Elle peut être sais par l’intéressé dans les deux mois du refus de communication du dossier, et dispose alors d’un mois pour donner son avis sur le document. S’il est déclaré non communicable, il n’y a aucun recours ; dans le cas contraire, soit l’administration s’incline et transmet le document litigieux (90% des cas), soit elle persiste dans son refus. L’administré peut alors saisir le JA dans les 2 mois : avant 1995, le JA annulait les décisions de refus de communication, ou condamnait l’administration à verser des dommages et intérêts à l’administré ; depuis la loi de 1995 sur les injonctions, il peut ordonner à l’administration de transmettre le document.

Tous les 2 ans, la CADA publie un rapport dans lequel elle fait le bilan de son action : elle est de plus en plus utilisée pour rendre des avis sur des documents nominatifs (dossiers fiscaux, copies de concours, dossiers médicaux d’hospitalisation,…). Ce droit de communication est moins utilisé pour satisfaire un besoin d’information des intéressés que pour se défendre vis-à-vis de l’administration.

D/ La motivation des actes administratifs.

La loi du 11/7/1979, complétée en 1/1986 oblige l’administration à motiver certains actes. Le principe reste la non motivation, mais le nombre d’exceptions s’est accru et comprend 2 catégories : les décisions individuelles défavorables (décisions restreignant l’exercice des libertés publiques, ou constitutives d’une mesure de police : interdiction d’une réunion, décret d’extradition, refus de passeport, expulsion d’un étranger, décret de dissolution d’association,…) et les décisions individuelles dérogatoires.

La motivation doit être écrite et comporter un énoncé des considérations de droit et de fait qui la fonde. Le JA (notamment CE, 24/7/1981 Belaseri) exige qu’elle soit claire, précise, concise, complète et adaptée aux circonstances de l’affaire.

Certains ont craint une multiplication des irrégularités et une augmentation du nombre des recours devant le JA, mais en fait, l’absence ou les faiblesses de motivation ont pu effectivement inciter certains administrés à former des recours, mais dans beaucoup de cas, ce moyen était invoqué à l’appui d’autres moyens : le recours aurait quand même été formé. Souvent, la motivation des décisions en permet une meilleure compréhension, ce qui permet de limiter le nombre de recours.