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Le processus de décision: Les principes généraux


Le système communautaire est à deux étages : celui des communautés et celui des états.
§1 : Les méthodes de répartition des compétences.

L’Union Européenne est un système juridique beaucoup plus compliqué que celui des états fédérés : les états fédéraux prévoient dans leur constitution fédérale une répartition relativement précise des compétences entre les entités fédérées et l’état fédéral ; dans le système communautaire, on ne retrouve ni clause générale de compétence, ni liste systématique de compétence. Les traités fondateurs ont adopté une approche fonctionnelle des compétences, c’est-à-dire que l’on a accordé aux communautés des fonctions à remplir, des actions à mener, des objectifs à atteindre. Il en résulte un enchevêtrement des compétences communautaires et nationales.

La complexité de la répartition des compétences est accrue par le caractère évolutif de la construction communautaire du fait de la révision des traités et de la pratique. Les grands objectifs prévus par les traités ne sont plus appliqués tels quels : la méthode fonctionnelle d’attribution des compétences se double de compétences subsidiaires. L’article 235 du traité des Communautés Européennes permet une extension des compétences communautaires sans révision des traités à 3 conditions : l’action doit tendre à réaliser un objectif de la communauté, elle doit être nécessaire à la réalisation de cet objectif, et le traité ne doit pas avoir prévu les pouvoirs d’action requis. Cette dernière condition fait apparaître comme subsidiaire la procédure, car le Conseil ne peut avoir recours à l’article 235 du traité qu’en cas de lacune du traité. Dans la pratique, cet article a permis d’étendre considérablement les compétences communautaires.

L’autre procédé permettant d’étendre la compétence, résulte de l’application d’une théorie du droit international = la théorie des pouvoirs implicites. Cette méthode a été reprise par la CJCE dans l’arrêt AETR du 31/3/1971 : en se fondant sur l’effet utile des traités (= sur l’interprétation en fonction du but), le juge communautaire a reconnu aux communautés la possibilité d’exercer certains pouvoirs non expressément prévus par les traités dès lors qu’ils sont nécessaires pour la réalisation des objectifs communautaires.

Ces deux moyens permettent d’étendre la compétence communautaire, mais ils présentent des différences : les pouvoirs implicites sont un mécanisme jurisprudentiel alors que les compétences subsidiaires sont prévus par les traités. La CJCE dégage au cas par cas les pouvoirs implicites nécessaires à l’exécution des missions imparties aux communautés par les traités : si les communautés sont compétentes dans un domaine, la CJCE en déduit que dans ce domaine, elles peuvent conclure des traités. Ainsi, dans l’arrêt AETR, la CJCE reconnaît aux communautés des compétences externes (= la capacité à conclure des traités) alignées sur les compétences internes des communautés. Les compétences subsidiaires sont décidées par le Conseil des ministres à l’unanimité.
§2 : Les rapports entre les compétences nationales et communautaires.

A/ Les compétences réservées des états.

Les communautés comme les organisations internationales, sont régies par le principe de spécialité, aussi appelé le principe de compétence d’attribution. Il signifie qu’elles ont un domaine d’activité limitativement déterminé par les traités. Les compétences communautaires n’existent que si elles résultent explicitement ou implicitement des traités constitutifs. Ce principe implique que la compétence nationale demeure le principe, et la compétence communautaire l’exception. La compétence nationale doit donc continuer à être exercé par l’état en dehors de toute ingérence communautaire.

La pratique est différente : les communautés européennes peuvent intervenir dans les compétences réservées des états par application de 2 règles : l’effet utile des traités (= compétences subsidiaires) et le devoir de collaboration des états affirmé par l’article 5 du traité des communautés. Ce devoir impose aux états non seulement d’assurer l’exécution des obligations communautaires, un devoir de faciliter à la communauté l’exercice de sa mission, mais aussi le devoir de s’abstenir de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des buts du traité.

Si on applique l’article 5, les compétences normatives des états doivent respecter les limites posées par le droit communautaire. Les compétences étatiques mêmes réservées sont encadrées par le droit communautaire. Par ailleurs, dans certains domaines, les états restent compétents, mais ils exercent cette compétence en commun.

B/ Les compétences concurrentes.

Elles sont aussi appelées compétences mixtes, car les états restent compétents dans un domaine tant que les autorités communautaires ne sont pas intervenues. L’exercice communautaire de la compétence exclue donc la compétence nationale. Si les communautés n’exercent pas ces compétences, la caducité de l’attribution des compétences n’est pas impliquée = même si la compétence est concurrente, elle est irréversible.

C/ Les compétences exclusives des communautés.

Ces compétences font l’objet d’un transfert total de la part des états membres aux communautés. Les états abandonnent donc leurs prérogatives aux communautés : ils ne sont plus les titulaires de la compétence mais cela n’exclue pas leur intervention, car ils ont la mission d’exécuter les actes communautaires relevant de la compétence exclusive de la communauté.

Le domaine : l’union douanière (pour l’établissement du tarif extérieur commun, des relations tarifaires avec les pays tiers,…),…

Section 2 : Les principes directeurs de l’exercice des compétences.

Il s’agit de l’un des reproches fait aux communautés : leurs capacités à intervenir dans les moindres détails. Elle résulte de la méthode fonctionnelle d’attribution des compétences, et des compétences subsidiaires des communautés (art. 235). Elle entraîne les exaspérations nationales, une dérive bureaucratique, une certaine inefficacité de l’action communautaire, un dessaisissement des états, de leurs collectivités locales, des entités fédérées des états fédéraux. Les Länder allemands sont à l’origine des nombreuses propositions concernant la construction communautaire : ils craignent qu’elle ne réduise leur autonomie au profit de l’état fédéral qui sera le seul partenaire des institutions communautaires. Cette crainte est à l’origine de l’inscription dans le traité de Maastricht (art. 3B) de principes régulateurs qui ont pour objet de servir d’axes de référence pour aménager ou même corriger l’interprétation des règles de compétences. Ces principes sont anciens, antérieurs au traité de Maastricht, mais ce dernier les proclame solennellement.

A/ Le principe de subsidiarité.

Il est très ancien : il a été affirmé pour la première fois par une encyclique papale de 1931 selon laquelle il appartient d’abord aux individus et aux organisations de faire face aux problèmes de société. C’est un des principes du fédéralisme, affirmé par l’article 72 de la Loi Fondamentale allemande : « la fédération a le droit de légiférer dans la mesure où existe le besoin d’une réglementation législative fédérale ». Elle précise ensuite les hypothèses où se manifestent un tel besoin.

La démarche dans le traité de Maastricht est plus simple : le principe est d’abord affirmé dans le préambule du traité, puis solennellement proclamé par l’article 3B. L’idée générale est qu’il ne faut faire collectivement que ce qui ne peut pas être fait individuellement. La commission européenne agit seulement dans la mesure où les objectifs recherchés seront mieux réalisés au niveau communautaire qu’au niveau national. Ce principe a fait l’objet d’un accord inter institutionnel entre le Parlement, le Conseil et la Commission, qui implique le respect de ce principe dans les décisions de la Commission : à chaque fois que la Commission formule une proposition d’action communautaire, elle doit justifier que la mesure proposée sera plus efficace si elle est prise au niveau communautaire qu’au niveau national. L’accord implique aussi la justification du principe lors des amendements formulés par le Conseil et le Parlement, ainsi que la vérification constante de la conformité au principe des actions envisagées.

L’acte communautaire le mieux à même de respecter ce principe est la directive, à condition qu’elle ne soit pas trop précise. Elle permet d’assurer la subsidiarité, car elle oriente le comportement des états en laissant intactes pour l’essentiel leurs compétences. Le second instrument est l’harmonisation. La subsidiarité préfère cette méthode plutôt que d’imposer une intervention communautaire uniforme : c’est l’encadrement communautaire des compétences nationales, la compétence appartenant toujours à l’état, mais la communauté en limitant la mise en œuvre pour rapprocher les législations nationales.

Ce principe ne s’applique qu’aux compétences mixtes.

Il a été beaucoup critiqué car : – c’est un principe flou et évolutif. Flou car il n’exclue à priori aucun domaine de la compétence communautaire ou de la compétence étatique. Il ne fixe pas une fois pour toute un partage de compétence entre les communautés et l’état. Evolutif car il permet une adaptation de la répartition des compétences en fonction de la construction communautaire.

– c’est un principe politique, et donc forcement subjectif. Il n’est pas possible d’apprécier rigoureusement que la Commission peut mieux que les états réaliser un objectif communautaire. Cette appréciation est forcément subjective.

– c’est un principe ambigu. Il peut s’avérer favorable soit à l’égard des communautés, soit à l’égard des états. L’insuffisance de l’action étatique et la plus grande efficacité communautaire permettent de justifier les compétences communautaires, mais a contrario, il peut en empêcher une trop grande extension et préserver ainsi les compétences nationales.

– c’est un principe dangereux pour la construction communautaire. Si son application implique la compétence des états membres dans un domaine, il y a un risque, au sein de l’union, de création de différences substantielles nuisibles à certains principes fondamentaux comme l’égalité des traitements, et cette distorsion est défavorable à l’uniformité de l’application du droit communautaire.

Ce principe permet seulement de désigner le titulaire de l’exercice d’une compétence. Il légitime soit la compétence communautaire, soit celle des états. Il s’applique à tous les domaines de compétence, et sert à réglementer l’intensité de l’action communautaire.

B/ Le principe de proportionnalité.

Il est formulé par l’article 3B du traité de Maastricht : « l’action de la communauté n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs de présent traité ». Il est qualifié alternativement de critère de proportionnalité, d’intensité ou de modération. Il est d’origine germanique, a été ensuite repris par la CJCE et a été officialisé par le traité de Maastricht. Il ressemble à la jurisprudence administrative française s’agissant du contrôle des mesures de police. Il a pour objet de modérer le pouvoir des autorités publiques dans le soucis d’assurer le respect d’un minimum d’autonomie des individus.

On commence par appliquer le principe de subsidiarité, et si par cette application, on reconnaît la nécessité de l’action communautaire à la place de l’état, on applique le principe de proportionnalité. Cela implique que les moyens utilisés ne soient pas disproportionnés par rapport à l’objectif poursuivi. Si la communauté en a la possibilité, elle doit choisir le moyen d’action le moins contraignant, et si une action législative est nécessaire, il faut choisir la forme d’intervention ménageant le plus les susceptibilités nationales.

L’attribution de compétences aux communautés est-elle une limitation ou un transfert de souveraineté? Une limitation est une restriction du pouvoir consentie par traité au profit d’une entité non souveraine (l’état garde sa compétence, mais elle est encadrée) ; un transfert est un abandon définitif de la compétence à une entité souveraine ou en passe de le devenir. La CJCE a toujours raisonné en terme de transfert, alors que le Conseil constitutionnel résonnait en terme de limitation. Depuis sa première décision sur le traité de Maastricht, il reconnaît l’existence de transfert, et d’ailleurs cette notion est inscrite dans la constitution à l’article 88-2 qui résulte de la révision constitutionnelle du 25/6/1992.