Catégories

Lien de causalité


Section 1 : La notion de causalité.
§ unique : Les notions juridiques de causalité.

En France, cette question a été peu commentée pendant tout le XIXème car la doctrine la considérait comme dangereusement et inutilement théorique. La doctrine allemande a essayé de découvrir un critère de la relation causale que le droit puisse retenir comme condition de la responsabilité. Il y a 3 théories doctrinales.

A/ La théorie de l’équivalence des conditions.

Elle a été dominante dans la doctrine allemande, et les auteurs français s’y sont longtemps ralliés. Elle a été développée par Von Buri en droit pénal entre 1860 et 1885.

1) L’exposé.

Tous les faits, événements sans lesquels le dommage n’aurait pas eu lieu sont considérés comme des causes de ce dommage = il n’y a pas de hiérarchie entre les différents faits qui ont précédé le dommage : chaque fait qui a conditionné le dommage est réputé l’avoir causé en entier. Il faut et suffit pour que le fait dommageable soit causal, qu’il ai été une des conditions sine qua non du dommage.

2) L’appréciation.

Cette théorie est simple. On lui reproche de manquer de nuance, car l’absence de sélection parmi les faits tend à faire peser la responsabilité sur un très grand nombre de personnes.

B/ La théorie de la causalité immédiate : la causa proxima.

1) L’exposé.

Jusqu’au dernier moment, c’est-à-dire tant qu’il reste des éléments déterminants, les choses restent en équilibre et il n’y a pas de dommage. Il faut un ultime événement pour que le dommage survienne : il s’agit de l’événement le plus proche dans le temps. Cette causa proxima est considérée comme l’unique cause du dommage. Pour le philosophe anglais F. Bacon (XVI-XVII), ce « serait pour le droit une tâche infinie de juger les causes des causes et les actions les unes sur les autres ». Il se contente donc de la source immédiate et refuse de remonter au delà.

2) L’appréciation.

Concentrer toute la responsabilité sur la dernière cause revient à se polariser sur la dernière goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Il peut s’agir d’un fait bénin alors que les précédents sont beaucoup plus graves, ce qui est la source d’injustice.

C/ La théorie de la causalité adéquate.

1) L’exposé.

Elle opère une sélection parmi les faits qui ont précédé la réalisation du dommage. La causalité immédiate opérait une sélection dans le temps, alors que la causalité adéquate opère une sélection qualitative parmi toutes les causes du dommage = certains événements ne méritent pas d’être qualifiés de cause du dommage. Parmi tous les faits, il faut rechercher ceux qui ont créé le dommage, sans tenir compte de ceux qui y ont juste participés. On recherche celui ou ceux des faits qui en suivant le cours normal des choses produirait le dommage = pronostic objectif rétrospectif : tel fait risque-t-il en principe d’engendrer tel dommage?

2) L’appréciation.

Le but de cette théorie est de limiter la responsabilité car l’équité exige d’éviter qu’un individu soit accablé par les conséquences imprévisibles de ses actes.

Deux reproches :                                – une trop grande abstraction = elle est fondée sur un critère de normalité, qui est déterministe et raisonnable. Le problème de cette méthode est qu’elle n’épouse pas toujours la réalité, car un événement qui en principe n’engendre pas de dommage peut en avoir causé un cette fois. La probabilité ne traduit pas toujours la réalité.

– il y a un risque d’arbitraire dans l’appréciation du juge : il doit décider si tel fait est en principe causal ou non. Cette appréciation est aléatoire.

Aucune des théories n’est exempte de critiques.
Section 2 : L’exigence d’un lien de causalité.

Elle est suggérée dans tous les textes : on ne peut pas être considéré auteur d’un dommage que l’on n’a pas causé. En principe, un fait n’est pas considéré comme causal s’il demeure une incertitude sur le point de savoir s’il a causé le dommage = le doute doit profiter au défendeur. La simple probabilité que le fait ai causé le dommage est insuffisante : il faut une certitude absolue.

Ex : un commerçant a surpris une adolescente en train de voler dans son magasin. Pour la punir, il l’a obligé à rentrer chez elle sans chaussures. Une fois rentrée chez elle, elle s’est jetée par la fenêtre. Pour la Cour de cassation, le commerçant n’est pas responsable car il n’est pas établit que son fait ai concouru de façon certaine à la production du dommage. Il existe des divergences à l’intérieur de la Cour de cassation entre les chambres civiles et la chambre criminelle :                                – la chambre criminelle applique la théorie de l’équivalence des conditions (car elle statue toujours sur une faute). Or cette théorie n’est concevable que dans une responsabilité pour faute.

– les chambres civiles n’appliquent pas de théories particulières, mais statuent au cas par cas.

§1 : Les solutions jurisprudentielles.

Il faut distinguer deux cas : un seul fait provoque une série de dommages ; un seul dommage est produit par la conjonction de plusieurs faits.

A/ Pluralité de faits et dommage unique.

1) La pluralité de faits successifs.

Les fait se sont succédés dans le temps et ont abouti au dommage.

Exemple : le propriétaire d’une voiture commet une faute d’imprudence en oubliant de la fermer? Un tiers vole alors la voiture, et cause un accident dans lequel une autre personne est blessée. La faute du propriétaire peut-elle être réputée comme cause du dommage?

Avec la théorie de l’équivalence des conditions, la faute du propriétaire serait l’une des causes du préjudice. La jurisprudence qualifie quelques fois cette faute de cause, si elle est grave. La jurisprudence dominante considère que l’intervention fautive du voleur a introduit un risque nouveau et non nécessaire qui n’était pas prévisible pour le propriétaire volé. Il n’y a donc pas de lien direct de cause à effet entre cette faute initial et le dommage, qui n’en est qu’une conséquence indirecte. Pour la jurisprudence, seule l’intervention du voleur a rendu possible la survenance du préjudice, et ce comportement n’est pas le simple prolongement de la faute du volé.

Autre exemple : une personne lit « Suicide : mode d’emploi » et se suicide. Ses parents agissent en responsabilité contre l’éditeur. La jurisprudence ne l’a pas retenu car il n’était pas établi que l’éditeur ai incité directement ou indirectement cette lectrice qu’il ne connaissait pas à prendre une décision née du tréfonds intime et secret de sa seule personnalité. L’intervention autonome de la personne rompt l’enchaînement causal et exclue que le fait de l’éditeur puisse être retenu.

2) Pluralité de faits concomitants.

L’exemple typique est celui où plusieurs chasseurs tirent ensemble sur ce qu’ils croient être du gibier, et qui est en fait une personne. Le tireur ne peut pas être identifié : à défaut de preuve d’un lien de causalité, aucun chasseur ne devrait être déclaré responsable. Pour remédier à l’injustice de ce raisonnement, la jurisprudence a déployé différents procédés pour retenir la responsabilité de tous les chasseurs :                                – elle décide que le dommage provient d’une action collective ou d’une pluralité d’actes connexes qui ne peuvent être séparés, et elle en déduit une faute collective qui entraîne la responsabilité commune de tous les membres du groupe.

– elle peut aussi décider que les chasseurs sont cogardiens de la gerbe de plomb dont l’un a blessé la victime, et appliquer la responsabilité du fait des choses sur 1384 alinéa 1.

Certains auteurs trouvent ces solutions contestables, car elles conduisent à déclarer responsable des innocents. De plus, quand une personne est victime d’un accident de chasse, l’indemnisation est assurée par un fonds de garantie.

B/ Unicité de faits et pluralité de dommages.

Un seul fait initial provoque des dommages en cascade. Exemple de Pothier : un agriculteur achète une vache malade, qui contamine le troupeau, qui est en partie décimé. L’agriculteur, ruiné, ne peut plus payer ses dettes, voient ses biens saisis par ses créanciers et se suicide. Autre exemple : une personne est victime d’un accident. Elle est prise en charge par une ambulance qui est à son tour accidentée, et la victime décède dans le deuxième accident.

Quand est-ce que la responsabilité d’une personne retenue pour le premier dommage doit-elle aussi être retenue pour les dommages suivants? La règle est que seul le dommage direct doit être réparé par l’auteur d’une faute. A partir de quand considère-t-on que le dommage est indirect ?

La prévisibilité du dommage : sera considéré comme direct le dommage dont on pouvait normalement penser qu’il serait provoqué par le fait du défendeur. Mais cette notion est trop subjective et elle tend à mélanger le dommage direct et le dommage prévisible. La jurisprudence n’applique donc pas ce critère, mais décide de manière empirique que le dommage est direct si aucun événement ou fait n’est venu rompre l’enchaînement causal reliant la faute au préjudice dont la réparation est demandée.

Le suicide d’une personne suite à un accident corporel l’ayant laissé handicapée, est la conséquence directe de la faute ayant causé l’accident = il suffit que le suicide soit dû aux séquelles de l’accident.

La jurisprudence fait preuve de pragmatisme et de subjectivisme, et parfois même d’un certain arbitraire. Esmein avait observé que la causalité était affaire de sentiments : « c’est le sentiment du rapport plus ou moins étroit entre la faute et l’accident qui entraîne la décision des juges ».
§2 : L’évolution du lien de causalité exigé.

La causalité peut être immédiate, directe, ne relever que d’un seul fait : elle est simple. Mais elle peut aussi être plus diffuse (exemple des pollutions graduelles). Certaines décisions de jurisprudence étendent la notion de causalité et y intègre la complexité (conséquences lointaines et imprévisibles).

TGI Nanterre, 5/6/1998 reconnaît la responsabilité du fabricant du vaccin de l’hépatite B dans la sclérose en plaque, par le jeu de la présomption de causalité.

A/ Fondement de la responsabilité et causalité.

Dans la responsabilité sans faute, la simple notion de condition sine qua none suffit : application de la théorie de l’équivalence des conditions. La relation causale est une conséquence naturelle de la faute, qui est l’élément central.

Dans la responsabilité objective, la causalité est un élément central survalorisé par rapport à l’approche subjective. Pour Marty et Raynaud, il faut adopter un critère plus exigeant que le lien précédent. L’évolution récente du droit de la responsabilité tend au contraire à assouplir cette condition : la loi du 5/7/1985 sur les accidents de la circulation utilise une notion de causalité plus objective et plus matérielle = la condition exigée est seulement celle de l’implication du véhicule.

B/ Nouvelles formes de causalité appliquées au droit.

Toutes ces nouvelles formes plaident pour un assouplissement de l’exigence du lien de causalité.

1) La causalité complexe.

C. Lienhard : la notion de catastrophe relève des causalités complexes, qui sont identifiables par deux indices : le recours systématique et indispensable à l’expertise (les experts ne peuvent en général que conclure à des causalités enchevêtrées) et le fait que les interactions prouvées ou potentielles entre le dysfonctionnement technique ou technologique et des erreurs humaines qui ne sont pas atténuées par des procédures adéquates de sécurité.

Ex: l’atteinte à l’environnement. Les causalités complexes y mettent en jeu l’écosystème (les pollutions graduelles et diffuses de l’air, de l’eau proviennent de causes multiples : il est difficile de prouver le lien causal entre l’activité du défendeur et la pollution en question).

La jurisprudence : elle a trouvé quelques parades :                                – elle a fait appel à la notion de création d’un risque. Il s’agit d’une notion jumelle de celle de perte de chance. Elle facilite la preuve de la causalité entre l’activité dangereuse et les dommages survenus à proximité.

– elle a développé un raisonnement a contrario tiré de la constatation de l’absence de toute autre circonstance de nature à expliquer le dommage survenu.

Civ. 1, 16/7/1998 : il appartient à la personne qui impute l’origine de la contamination à des produits sanguins de rapporter la preuve par tous moyens, y compris par la présomption d’un lien de causalité entre la transfusion et la contamination apparue après.

La loi : elle pose ponctuellement des présomptions de responsabilité. Ainsi, la loi du 30/10/1968 pose une présomption pour certaines maladies survenues dans le voisinage d’un site nucléaire, et dont l’apparition est normalement favorisée par l’irradiation.

2) Les autres formes de causalité.

· La causalité démultipliée : une cause minime peut produire d’importants dommages ou la défaillance d’un seul individu peut mettre en péril une multitude d’individus.

· La causalité distendue : il faut du temps pour que le dommage apparaisse.

· La causalité insoupçonnée : elle se révèle après coup. Il s’agit de l’hypothèse du risque de développement : un produit contenant un défaut indécelable et imprévisible au moment de la mise en marché, et qui est révélé après coup par le développement ultérieur des connaissances.

De nouvelles formes de causalité émergent en même temps que les nouvelles formes de dommage et elles appellent toutes une appréciation plus souple de l’exigence du lien de causalité.

L’article 10 de la Convention de la Haye prévoit que « quand il apprécie la preuve du lien de causalité entre un événement et un dommage (…) le juge tient dûment compte du risque accru de provoquer le dommage, inhérent à l’activité dangereuse.