Les juridictions nationales sont considérées comme les juges naturels du droit communautaire : il leur revient de faire primer le droit communautaire sur le droit national, ce qui suppose de s’assurer de la validité du droit communautaire et de sa bonne interprétation.
§1 : Les différents types de renvoi préjudiciel.
A/ Le renvoi préjudiciel en interprétation.
Le juge national peut de sa propre initiative ou sur demande des parties au litige, surseoir à statuer pour saisir la CJCE d’une question préjudicielle en interprétation.
L’art.234CE prévoit que la CJCE est compétente pour interpréter tout le droit primaire, sa propre jurisprudence, les traités internationaux, et tout le droit dérivé (actes de base ou d’exécution). Ce même article confère une compétence exclusive au juge national pour saisir la CJCE : il dispose d’une totale liberté sur ce point, et ne peut jamais être contraint de rédiger une ordonnance de renvoi par les parties.
B/ Le renvoi préjudiciel en appréciation de validité.
La primauté du droit communautaire présuppose sa validité. Face à une question d’application de ce droit, le juge national devra saisir la CJCE s’il estime que ce droit communautaire n’est pas valide.
La CJCE est compétente pour apprécier la validité du droit dérivé et des traités externes, mais le droit primaire échappe à ce contrôle de validité : il est présupposé valide dès l’origine, mais surtout il n’existe pas de norme qui lui soit supérieure et auxquelles on pourrait le confronter pour apprécier sa validité.
§2 : Les autorités juridictionnelles concernées par les renvois préjudiciels.
A/ La notion de juridiction.
L’art.234CE permet aux juridictions nationales de saisir la CJCE d’une question préjudicielle, mais il ne définit pas la notion de juridiction : CJCE, 30/7/1966 Dame Veuve Vaassen-Göbbels a voulu définir précisément cette notion afin d’éviter que des autorités administratives, des organes divers, des associations saisissent à répétition la CJCE et encombrent son prétoire. La CJCE a posé différents critères cumulatifs : – l’organe qualifié de juridiction doit avoir une origine légale, c’est-à-dire avoir été créé par la constitution ou la loi nationale.
– l’organe qualifié de juridiction doit statuer en droit (et non pas en équité) : les juridictions arbitrales ou les instances d’arbitrage ne sont donc pas des juridictions au sens de la CJCE.
– l’organe qualifié de juridiction doit prévoir une procédure contradictoire.
– l’organe qualifié de juridiction doit rendre une décision définitive ou susceptible d’appel.
Þ La CJCE détermine au regard de ces critères cumulatifs si l’organe qui lui pose une question est une juridiction au sens de l’art.234CE, sans s’en tenir à sa dénomination (Commission, Cour des comptes,…).
B/ Les obligations des juridictions ordinaires.
L’art.234CE appelle juridictions ordinaires, les juridictions dont les décisions sont susceptibles de recours (appel ou cassation). L’art.234CE prévoit qu’elles ne sont jamais contraintes d’exercer un renvoi préjudiciel en interprétation ou en appréciation de validité, même en cas de difficultés objectives.
CJCE, 22/10/1987 Foto-Frost a remis ce principe en cause en matière de renvoi en appréciation de validité : le juge ordinaire ne peut pas apprécier lui-même la validité d’un acte communautaire, ni suspendre son application. Il doit obligatoirement renvoyer s’il estime que la question de la validité conditionne le résultat du litige.
C/ Les obligations des juridictions suprêmes.
L’art.234CE appelle juridictions suprêmes, les juridictions dont les décisions sont insusceptibles de recours. Il prévoit qu’elles ont une obligation de renvoi en interprétation et en appréciation de validité.
Dans le cadre du renvoi préjudiciel en interprétation, le Conseil d’Etat n’a pas supporté cette obligation de renvoi : en vertu de la théorie de l’acte clair, il estime le plus souvent que les dispositions claires de la norme communautaire ne posent pas de problèmes particuliers (CE, 19/6/1964 Société des pétroles Shell-Berre). Il a tout de même accepté de renvoyer à la CJCE dans quelques hypothèses.
Dans le cadre du renvoi préjudiciel en appréciation de validité, le Conseil d’Etat s’est toujours abstenu d’apprécier lui-même la validité du droit communautaire, et a préféré renvoyer.
Þ Le Conseil d’Etat a détourné l’obligation de renvoi de l’art.234CE, ce que la CJCE a presque accepté. CJCE, 6/10/1982 C.I.L.F.I.T. admet que lorsqu’un acte communautaire ne soulève pas de problème particulier d’interprétation, les juridictions suprêmes ne sont pas tenues de renvoyer devant la CJCE.
§3 : La portée des arrêts préjudiciels.
L’arrêt préjudiciel de la CJCE (interprétatif ou validatif) s’impose au juge national de renvoi.
· En matière d’appréciation de validité, un acte déclaré valide devra primer le droit national, tandis qu’un acte déclaré invalide verra ses effets suspendus et devra être abrogé ou retiré par l’autorité émettrice.
CJCE, 13/5/1981 International Chemical Corporation pose la règle selon laquelle un arrêt déclarant l’invalidité d’un acte communautaire a une portée absolue.
· En matière d’interprétation, le juge national doit apprécier le droit interne conformément à l’interprétation officielle de la CJCE.
CJCE, 27/3/1963 Da Costa pose la règle selon laquelle les jugements interprétatifs ont une portée absolue.
Si un litige porté devant la juridiction nationale, met en cause un acte communautaire déjà interprété, la CJCE demande au juge national de ne pas la saisir sur la même question. Mais, si le juge estime qu’il faut une nouvelle interprétation, la CJCE pourra être de nouveau saisie.