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La créance de réparation


Quand l’action aboutit, le juge rend une décision qui précise le contour de cette créance de réparation, et sa décision va constituer un titre permettant d’obtenir l’exécution par le débiteur = elle donne force exécutoire à la créance.

Avant le jugement, le droit à réparation de la victime n’est qu’un droit en germe : la jurisprudence considère que le jugement rendu sur la responsabilité civile est un jugement constitutif = il crée un droit nouveau. Mais beaucoup d’auteurs estiment que ce jugement n’est que déclaratif = il se borne à déclarer un droit préexistant.

En fait, on peut penser que ce jugement a une double nature : il est déclaratif en ce qu’il constate la réunion des conditions de la responsabilité et l’existence de la créance, et il est constitutif en ce qu’il évalue et liquide la créance de réparation de la victime. Cette créance naît dès le jour du dommage, mais c’est le jugement qui va en déterminer le montant et en conditionner l’effectivité. A ce stade, le préjudice joue un rôle déterminant, car il constitue le seul critère de fixation de la créance de réparation et en donne la mesure.

 

§1 : Le préjudice, critère de fixation de la créance.

Le juge doit se livrer à une évaluation du dommage, ce qui peut être complexe en raison de l’évolution du dommage.

A/ L’évaluation du préjudice.

La question est de savoir à quelle date faut-il que le juge se place pour évaluer le dommage? Doit-il se placer au jour du dommage, ou au jour où il statue? Cette question est importante car, entre les deux dates, le dommage peut avoir évolué.

En principe, la jurisprudence admet que le juge se place au jour où il statue pour évaluer le préjudice.

B/ L’évolution du préjudice.

Le jugement qui fixe la créance de réparation a-t-il pour effet de figer cette créance une fois pour toute? L’évolution du préjudice après le jugement peut-elle remettre en cause la détermination de la créance de réparation? La jurisprudence varie selon l’évolution subi par le préjudice.

1) Quand le préjudice s’est atténué.

L’évaluation de la créance de réparation fondée sur le préjudice au moment du jugement ne peut pas être remis en cause. Le principe de l’autorité de la chose jugée s’oppose à une réduction de la créance proportionnée au préjudice.

Il existe une exception à ce principe : une réévaluation est possible quand le jugement a réservé cette possibilité.

2) Quand le préjudice s’est aggravé.

La jurisprudence admet que la victime puisse demander une augmentation de la réparation de son préjudice. Le principe de l’autorité de la chose jugée n’y fait pas obstacle car on considère que la victime exerce une nouvelle action en responsabilité.

§2 : Le préjudice, mesure de la créance de la réparation.

Le préjudice permet aux juges d’évaluer le montant de la réparation.

A/ Le principe de réparation intégrale du préjudice.

1) Le sens du principe.

Il doit exister une adéquation parfaite entre le montant de la créance de réparation et l’importance du préjudice. La réparation a seulement pour but de replacer la victime dans l’état qui aurait été le sien si le préjudice n’était pas survenu = une remise en état patrimoniale qui exclue un enrichissement ou un appauvrissement. Le préjudice étant la seule mesure du montant de la réparation, négativement le principe de réparation exclue toute influence de la faute dans la détermination du montant de la réparation. Il importe donc peu que la faute soit légère ou grave ; ce qui compte c’est l’ampleur du préjudice qu’elle a causé.

Dans la pratique, la faute exerce secrètement une influence dans la détermination du montant, mais cela ne doit pas apparaître dans les motivations sous peine de cassation.

2) La mise en œuvre du principe.

La réparation intégrale en cas de lésion d’un intérêt patrimonial : le principe est que la créance de réparation doit être égale à la valeur du remplacement du bien endommagé = le prix d’achat d’un bien équivalent.

Quand le bien est réparable, le responsable ne doit indemniser la victime que du coût des réparations nécessaires pour le remettre en état, sous réserve que ce coût n’excède pas la valeur de remplacement.

Quand le bien est irréparable, la valeur de remplacement peut parfois enrichir la victime. Dans cette hypothèse, la jurisprudence ne prend pas en compte l’état de vétusté du bien.

La réparation intégrale en cas de lésion d’un intérêt extrapatrimonial : la mise en œuvre de ce principe s’avère assez artificielle. Pour les dommages qui découlent de cette atteinte, le montant de la créance de réparation ne peut être évalué que de manière subjective. Souvent, l’indemnité allouée à la victime ressemble à une peine infligée au responsable = « peine privée ». Dans ces cas, l’idée de sanction prédomine sur celle d’indemnisation, ce qui est surtout vrai pour le dommage moral, et le dommage corporel en particulier. La mise en œuvre de ce principe dans un tel cas ne pose alors aucun problème au juge pour les frais médicaux, chirurgicaux, et, en ce qui concerne les différentes incapacités de travail (totale, partielle, temporaire, permanente) il existe des barèmes que les juges vont utiliser pour fixer le montant de la réparation (ils doivent rester officieux).

B/ Les tempéraments au principe de réparation intégrale.

Les quelques tempéraments qui existent sont contenus dans la loi. Ils ne peuvent être d’origine conventionnelle, car de telles clauses sont prohibées. La jurisprudence leur refuse toute efficacité car elles considère que les articles 1382 et suivants sont d’ordre public.

Le juge qui prononce la condamnation du responsable peut décider que la réparation sera exécutée en nature ou par équivalence.

– la réparation en nature est a priori plus satisfaisante car elle correspond mieux à l’objectif de la responsabilité qui est de replacer la victime dans la situation qui aurait été la sienne si le fait dommageable n’avait pas eu lieu. Cette réparation tend à effacer complètement le dommage : elle prévaut en cas de préjudice matériel, mais ce n’est pas toujours possible (préjudice matériel où le bien a péri ; préjudice moral ou corporel)

– la réparation par équivalence : il s’agit de la règle en matière de responsabilité délictuelle. Le responsable est condamné à verser une somme d’argent à la victime sous la forme de dommages et intérêts. Ils ont pour but de compenser le dommage subi. Le responsable peut être condamné au versement d’un capital (il exécute alors son obligation en un seul versement, immédiatement) ou d’une rente (il exécute alors son obligation de manière successive en payant périodiquement une fraction de l’indemnité totale). Les juges préfèrent le système de la rente pour la réparation des dommages corporels destinés à se prolonger dans le temps.

Le droit de la responsabilité connaît une profonde mutation. Un passage s’opère de la logique de responsabilité centré sur l’auteur vers la logique d’indemnisation centrée sur la victime du dommage sans que la seconde ne chasse la première.

L’attitude traditionnelle tend à subir et à ralentir le mouvement d’évolution. Exemple : le refus de l’autonomie de la loi de 1985 que l’on a tenté de rattacher au fondement traditionnel de la responsabilité civile.

L’attitude novatrice (prospective) tente d’accompagner l’évolution : le fait de parler d’indemnisation plutôt que de responsabilité à propos du système mis en place par la loi de 1985,…

En l’état actuel, le paysage juridique de la responsabilité pourrait se recomposer pour que l’indemnisation et la responsabilité trouvent leurs places :

– la responsabilité pour faute (subjective) : l’abus de droit.

– la responsabilité pour le fait causal dommageable = une partie du fait personnel, le fait des choses et le fait d’autrui (régression progressive de la faute présumée).

– l’indemnisation même sans faute ni fait causal dommageable = les cas de garantie. Dans certains cas, même la force majeure n’est pas exonératoire.