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Les juridictions consulaires


Création des juridictions consulaires

Les commerçants trouvent les juridictions ordinaires lentes, composées d’officiers incompétents, et  chères (système des épices : les plaideurs rémunèrent les juges). Les cahiers de doléance du XVIème des demandent donc des juridictions consulaires, dont le seul exemple était la Foire de Lyon, non permanente.

Un édit d’Henri II crée la première en 1549 : la « bourse de Toulouse » est à la fois une place de change et une juridiction consulaire. Le roi voulait créer une place de change, et avait rajouté une fonction de juridiction sous la pression des marchands : dans les faits, la place de change n’existera pas, et la fonction juridictionnelle aura une grande ampleur. D’autres juridictions seront créées à Rouen, puis Paris (1563). En 1565, une mesure en crée dans toutes les villes comprenant un siège royal. Une ordonnance de Colbert de 1673 fixe définitivement leurs organisation et procédure en décidant l’application à toutes les juridictions du texte de 1563 sur celles de Paris. Il existe 40 juridictions à la fin du XVIIème ; 67 en 1789. Au XVIIIème, le roi freinera leur multiplication, en exigeant que la ville soit suffisamment commerçante.

Composition des juridictions consulaires

Elle est variable. On trouve en général un juge président (« prieur de la bourse ») et 4 consuls assesseurs, tous élus pour un an par le corps des marchands de la ville : souvent, seuls les plus importants votaient. Il y a quelques cas d’élections à 2 degrés, et le président sortant pouvait déterminer une liste de nom (3 à 4 par postes), dans laquelle les marchands devaient choisir. En général, il fallait être commerçant notable, avoir exercé le commerce plus de 10 ans, et franchir les grades un à un (consul avant prieur).

Les juges consulaires s’entouraient souvent d’assesseurs (fonctions de conseil), choisis parmi les marchands les plus expérimentés. A Toulouse, la liste des assesseurs s’appelait la « retenue ».

Compétences des juridictions consulaires

L’article 3 de l’édit de 1563 leur donne compétence pour tout litige entre commerçants ou relatif à des actes de commerce. L’ordonnance de Colbert (1673) ajoute qu’elles connaissent de toute lettre de change, même non signée par des commerçants, et qu’elles statuent en dernier ressort pour tout litige d’une valeur inférieure à 500 livres. Les Parlements perdent une partie de leur compétence et de leur source de revenus (système des épices), les présidiaux étant déjà compétents en dernier ressort pour les affaires de droit commun inférieures à 250 livres. Ils jugeront donc en appel des affaires leur échappant, et obligeront les parties à se faire délivrer une exequatur par les huissiers du Parlement pour les décisions consulaires rendues dans des affaires d’une valeur supérieure à 500 livres, normalement exécutoires par provision (applicables même en cas d’appel). Au XVIIIème, les Etats provinciaux dénonceront ces pratiques.

Elles auraient aussi dû connaître des faillites. Une déclaration du 10/6/1715 leur donne compétence pour toutes les faillites ouvertes pendant l’année 1715 : cette mesure sera reconduite jusqu’en 1733. Par la suite, ces juridictions ne seront plus compétentes en cette matière, même si une déclaration de 9/1739 décide que les procédures de faillite ne peuvent être entamées devant les juridictions royales, ni les contrats d’atermoiement (créanciers accordent un délai de paiement) homologués, tant que les juridictions consulaires n’ont pas été saisies de l’examen des pièces. Un arrêt de règlement du Parlement de Paris de 1744 cantonne les juridictions consulaires au texte, alors que celles-ci avaient pris l’habitude de recevoir l’affirmation des créanciers (preuve des créances) et d’homologuer les contrats d’atermoiement.

Au XVIIIème, les tribunaux consulaires de Caen, Nantes, Marseille, Valenciennes et Orléans inciteront les autres à adresser au roi des mémoires demandant l’attribution de compétence en matière de faillite et de banqueroute (aspect pénal), mais elles ne l’obtiendront pas jusqu’à la révolution.

Procédure des juridictions consulaires

Elle est gratuite : le système des épices est interdit, et tout juge qui en bénéficie risque d’être poursuivi pour concussion. Une ordonnance de Colbert (1673) fixe la procédure :

  • le demandeur peut choisir la juridiction du lieu de domicile du défendeur, du lieu de conclusion du contrat, du lieu de livraison de la marchandise, ou du lieu de paiement.
  • la grande ordonnance de 1667 sur la procédure civile s’applique : les commerçants doivent se présenter en personnes et se défendre eux-mêmes. En fait, ils sont souvent représentés par des praticiens rompus aux usages du commerce (les « agréés »). Les modes de preuve sont plus souples : la preuve par écrit est admise, mais le témoignage est le plus fréquent, et la bonne tenue des registres du commerçant sert de preuve morale en sa faveur. L’appel est possible pour les affaires d’un montant supérieur à 500 livres, dans les 8 jours du prononcé de la sentence. Les huissiers du Parlement se sont octroyé le pouvoir de donner force exécutoire aux décisions consulaires rendues à charge d’appel, et donc normalement exécutoires par provision.

L’étude d’un cas concret : la Bourse de Montpellier

La Bourse de Montpellier est calquée sur celle de Toulouse. Toutefois, la juridiction consulaire occupe une place prépondérante au sein de l’édit de création (1/6/1691), et sera d’ailleurs organisée très vite alors que la place de change ne le sera jamais vraiment.

Les marchands ont réclamé le bénéfice d’une juridiction consulaire, car la seule juridiction existante n’était compétente qu’en matière de commerce maritime : cette juridiction des consuls de mer existait depuis 1463. Les officiers royaux lui avaient fait la guerre, et en 1625, ils profitent des guerres de religion pour la faire supprimer. Suite aux doléances des états du Languedoc, le roi accorde en 1665 le rétablissement de cette juridiction, à charge pour les protestants de ne jamais y siéger. Elle ne sera donc jamais rétablie puisque les principaux commerçants étaient protestants. Au début des années 1680, les officiers municipaux redemandent au roi de rétablir la juridiction des consuls de mer, le besoin d’une juridiction en matière maritime se faisant de plus en plus sentir suite au creusement du canal du midi et à l’aménagement du port de Sète. Les juges royaux y étant défavorables, la question tombe à l’eau après de nouveaux troubles de religion. La juridiction ne sera rétablie que vers la fin des années 1680.

Organisation

Elle est mise en place dès la fin juin 1691. Le 29/6, la Compagnie des marchands décide de procéder aux élections le lendemain, selon un cérémonial : célébration d’une messe, puis retour au siège de la juridiction, où le bedeau prête serment d’avoir convoqué tous les marchands. Le prieur annonce les 3 candidats choisis par siège à pourvoir, puis le vote a lieu. Une fois les juges désignés, ils prêtent serment à l’intendant de remplir correctement leurs missions. Les assesseurs devaient aussi prêter serment.

Le personnel de la justice

Tout le pouvoir de décision repose entre les mains du prieur et des deux juges consuls dont la durée des fonctions est fixée à un an par l’édit de 1691. A Montpellier, il faut avoir franchi les deux autres grades avant de pouvoir devenir prieur, alors qu’un règlement du XVIIIème impose un délai de 3 ans avant une réélection. Au XVIIIème, malgré l’interdiction, les protestants retrouvent leurs places dans ces juridictions. Les juges consulaires reçoivent des privilèges du roi : ils sont exempts du logement des gens de guerre ; le prieur de la juridiction consulaire ne doit pas être insulté.

La juridiction de Toulouse comptera entre 20 et 200 assesseurs, ce qui poussera le roi à y limiter le nombre autorisé à 24. Celle de Montpellier n’aura jamais plus de 15 à 20 assesseurs. En 1673, les assesseurs de juridiction se sont plaints d’être écarté du pouvoir de décision.

Les huissiers sont chargés de la police des audiences, et ont en général un rôle d’exécution dans la juridiction. Ce sont des officiers qui achètent leurs charges au Roi. L’édit de 1691 prévoit la création d’une seule charge, mais le roi multiplie ces charges (besoin d’argent), et les huissiers finissent par se disputer leurs émoluments, ce qui entrave la juridiction.

Le greffe de la juridiction est composé d’officiers. Les juges consuls tenteront de sauvegarder la gratuité de la juridiction lorsque le greffe augmentera les droits payés par le plaideur pour la délivrance des actes. L’intendant prendra un règlement fixant définitivement tous les droits qui pourront être perçus par le greffe. Il s’agit d’une copie de la taxation de la Bourse de Toulouse.

Compétences

La juridiction consulaire de Montpellier a les mêmes compétences que les autres juridictions du Royaume, mais le Parlement de Toulouse en est peu respectueux : au XVIIIème, le Conseil du Roi cassera beaucoup d’arrêts ayant accepté de connaître en appel des affaires d’un montant inférieur à 500 livres, ou obligeant les plaideurs à aller devant lui pour rendre exécutoire des sentences exécutoires par provision.

L’activité de la juridiction

Le bilan de la Bourse de Montpellier est très positif : entre 1691 et 1791, elle a rendu entre 100 et 200 sentences chaque année. Elle a aussi d’autres compétences, telles que l’examen des bilans lors des faillites,… Les affaires les plus courantes sont relatives aux contrats de vente et aux effets de commerce.

Le bilan des juridictions consulaires est positif, malgré le problème des compétences. La Révolution, qui détestait les juridictions d’exception (perçues comme des privilèges), les conservera car elles ont fait leurs preuves, et parce que le système de l’élection est conforme aux idées révolutionnaires.