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Les traités constitutifs ou le droit primaire des Communautés


Les traités Paris (1951) et de Rome (1957), qui ont constitué les Communautés européennes, forment le droit primaire, aussi bien chronologiquement que matériellement. On parle aussi de traités de base, ou de traités constitutifs. La notion de « Charte constitutionnelle » donne une dimension qualitative à ces traités communautaires, en signifiant que ce ne sont pas simplement des conventions internationales, mais qu’ils contiennent des objectifs et politiques de nature constitutionnelle.
§1 : Multiplicité des traités.

Le droit primaire comprend environ 750 articles, si on additionne toutes les dispositions des traités communautaires. Les Communautés et aujourd’hui l’Union sont en effet fondées sur plusieurs traités : certains sont originaires, d’autres ont révisés ces traités originaires. On distingue donc au sein du droit primaire les traités originaires, et les traités ou décisions modificatives des traités originaires. Dans ces deux cas, il s’agit de droit primaire, car une convention internationale va être adoptée par tous les Etats.

A/ Inventaire normatif.

Ä Les traités fondateurs :   – le Traité de Paris du 8/4/1951 (entré en vigueur le 23/7/1952) est le principal instrument juridique de la CECA. Il est accompagné de protocoles additionnels : relatifs au statut de la Cour de Justice Charbon Acier, aux privilèges et immunités des fonctionnaires de la CECA,…

– les deux Traités de Rome du 27/3/1957 (entrés en vigueur le 14/1/1958) ont institué la CEE (devenue la CE en 1992) et la CEEA. Des protocoles s’ajoutent à ces traités, notamment sur le statut de la Banque Européenne d’Investissement, sur le statut de la CJCE, sur les privilèges et immunités des personnes qui travaillent dans les institutions communautaires,…

Þ Ces ensemble normatif constitue le droit primaire du système juridique communautaire.

Les traités instituent la CECA et la CEEA instituent des communautés sectorielles, dans le but de mettre en place un marché commun assurant la libre circulation du charbon-acier et du nucléaire civil.

La Communauté Européenne est au contraire une communauté à dimension universaliste : l’ampleur et l’ambition des compétences qui lui ont été transférées (social, culture, transport, libre circulation des personnes, monnaie unique,…) font que l’on ne peut plus définir cette Communauté en recourant à l’adjectif « économique ». Ce terme a d’ailleurs été supprimé en 1992. La Communauté Européenne apparaît en réalité comme l’acte politique et juridique majeur des Etats-membres, au point que sa prééminence symbolique, politique et juridique s’impose à l’évidence.

Elle a d’ailleurs progressivement débordé sur la CECA et la CEEA : certaines politiques qui auraient dû être menées dans le cadre du traité CECA ou du traité CEEA sont en fait menées dans le seul cadre du traité CE.  A tel point que l’on peut s’interroger sur le maintien à terme du Traité de Paris (conclu pour une durée de 50 ans) et du traité CEEA. Une des solutions consisterait à ne pas conserver que le traité de Rome instituant la CEE en y intégrant une politique charbon-acier et une politique énergétique reprenant la substance du traité de Paris et du traité Euratom.

Ä Les actes modificatifs du droit primaire constituent du droit primaire.

· Le traité de fusion des exécutifs signé à Bruxelles le 8/4/1965 (entré en vigueur le 1/8/1967) a institué un Conseil et une Commission unique au sein des Communautés. Les Commissions CEE et CEEA, et la Haute Autorité (CECA) ont été regroupées en une seule Commission (Bruxelles) chargée de mettre en œuvre les trois traités. De la même façon, le Conseil unique statue dans le cadre des trois Communautés.

· Les traités budgétaires de Luxembourg du 28/4/1970 (entré en vigueur le 1/1/1971) et de Bruxelles du 22/7/1975 (entré en vigueur le 1/6/1977), accroissent les pouvoirs financiers du Parlement européen.

· L’Acte Unique Européen des 17 et 28/2/1986 (Luxembourg et La Haye) entré en vigueur le 1/7/1987 a amélioré le processus décisionnel au sein de la CEE ainsi que la participation du Parlement européen à la procédure, et il a amorcé une politique étrangère commune (point de vue commun lors de conflits).

· Le Traité de Maastricht du 7/2/1992 (entré en vigueur le 1/11/1993) a institué l’Union Européenne. Le Traité d’Amsterdam du 2/10/1997 (entré en vigueur le 1/5/1999) confirme la notion d’UE sur ses 3 piliers, révise certaines procédures décisionnelles, et attribue des compétences nouvelles aux Communautés.

· Les actes d’adhésion sont venus adapter et compléter les traités à chaque nouvelle adhésion (1972-1979-1985-1994). De la même façon, les prochaines adhésions entraîneront aussi une révision des traités.

· Les décisions des traités communautaires : elles sont adoptées par le Conseil, mais il s’agit d’un véritable traité international, car elles ne produisent effet qu’après ratification par tous les Etats membres. On peut citer la décision du 21/4/1970 relative au remplacement des contributions financières par des ressources propres aux Communautés ; la décision du 20/9/1976 (entrée en vigueur le 1/7/1978) portant sur le principe de l’élection des représentants des Etats au Parlement européen au SUD, prise en application de l’art.138-3CE (art.190-4 depuis le traité d’Amsterdam) prévoyant que le Parlement et le Conseil pouvaient adopter une décision fixant le principe d’une élection au SUD.

Le Traité de Paris a été rédigé en français, et seule cette langue fait foi au sein des institutions. Les traités de Rome ont été rédigés en allemand, en français, en italien, et en néerlandais : ces 4 versions linguistiques font également foi au sein des institutions.

B/ Contenu des traités.

L’architecture actuelle des traités communautaires n’a jamais fait l’objet de révision substantielle. Mais, la réforme institutionnelle qui se profile pourrait amener à modifier cette structure, l’idée étant d’adopter un seul texte comprenant les dispositions fondamentales de l’UE et les dispositions institutionnelles.

Ä Les dispositions préliminaires et le préambule. Cette première série de clauses précise pour chacune des communautés leurs objectifs généraux, ainsi que leurs finalités politiques et éthiques (rapprochement entre les peuples, préservation de la paix sur le continent européen,…). Ces objectifs généraux sont ensuite détaillés aux art.2 et 3CA, aux art.2 et 3CE, et aux art.1 et 2EA.

L’art.2CE dispose que la CE « a pour mission, par l’établissement d’un marché unique, d’une Union économique et monétaire et par la mise en œuvre des politiques ou des actions communes de promouvoir dans l’ensemble de la Communauté un développement harmonieux, équilibré et durable, des activités économiques, un niveau d’emploi et de protection sociale élevée, une égalité entre les hommes et les femmes, une croissance durable et non inflationniste,…

La Cour de Justice a très tôt reconnu que les institutions sont tenues d’interpréter les dispositions du traité au regard des clauses liminaires (car elles contiennent les objectifs généraux des communautés). Ces clauses s’imposent aux institutions et déterminent le sens de toutes les autres dispositions du traité.

Ä Les dispositions organiques ou institutionnelles : ces articles définissent la composition des institutions, leur fonction et les différentes procédures inter-institutionnelles permettant l’adoption de la législation communautaire. Ils détaillent aussi la typologie des actes communautaires, ainsi que l’exercice des compétences externes et conventionnelles des communautés.

Ä Les clauses matérielles (ou droit substantiel) : ces articles fondent le droit économique des Communautés, comme notamment la suppression des droits de douanes, l’UEM, le droit de la concurrence, ou la politique agricole commune. Le traité CECA est qualifié de « traité-loi », en ce que ce droit économique y est formulé en termes précis. Les traités CEEA et CE sont qualifiés de « traités-cadres » car le droit matériel y est d’avantage programmatique.

Ä Les clauses générales ou finales : ces dispositions concernent essentiellement des questions relatives à la dimension internationale des Communautés, aux modalités d’adhésion aux Communautés, ainsi qu’à la révision et à l’entrée en vigueur des traités.
§2 : La révision des traités.

La procédure de révision des traités communautaires s’apparente à une procédure constitutionnelle : on touche aux traités constitutifs, et tous les acteurs institutionnels des Communautés interviennent.

Avant 1992, chaque traité avait une procédure de révision spéciale : le traité de Maastricht a unifié la procédure de révision des traités à l’art.48UE. Le document adopté permet donc de réviser simultanément les dispositions des 3 traités communautaires et les dispositions communes du traité sur l’UE.

Ä La procédure de révision des traités communautaires est prévue à l’art.48UE (ex-art.N UE).

L’initiative appartient au gouvernement de tout Etat-membre, et à la Commission, chacun d’eux pouvant « soumettre au Conseil des projets tendant à la révision des traités ».

Le Conseil consulte alors le Parlement européen, et éventuellement la Commission. En pratique, elle est automatiquement consultée, et rend un avis sur les chances de succès et les limites de la révision.

Au regard de la proposition et de cet avis, le Conseil des ministres peut décider de réunir une Conférence InterGouvernementale, c’est-à-dire une réunion régulière (2-3 jours par mois) des représentants des Etats au sein de laquelle les ministres des affaires étrangères vont discuter du projet de révision. La CIG est généralement programmée sur plusieurs mois (en général 18).

Le projet de traité adopté par la CIG doit encore être entériné par les Etats-membres, par le biais de la signature du traité lors d’un Conseil européen (Maastricht, Amsterdam), puis par la mise en œuvre au sein de chaque Etat, de la procédure de ratification des traités internationaux.

Les Etats-membres ne peuvent pas réviser le droit primaire autrement qu’en recourant à l’art.48UE.

L’existence d’une telle procédure contraignante tient au fait que le traité CE a été conclu pour une durée illimitée (au contraire du traité CECA, limité à 50 ans), sans qu’aucune procédure d’exclusion ou de retrait n’ai été prévue. L’adhésion aux Communautés est donc définitive et les traités communautaires sont plus que de simples traités internationaux, en raison de leurs objectifs, des compétences attribuées aux Communautés, et des procédures juridiques de révision qui leur sont spécifiques.

Ä Le déclenchement de la procédure de révision des traités.

· La révision peut être spontanée.

· La révision peut être provoquée par la conclusion d’un accord externe, contraire au droit primaire. L’incompatibilité peut être constatée :                                                              – par le Conseil lui-même (art.300 al.5CE) ;

– par la CJCE (art.300 al.6CE) saisie par le Conseil, la Commission ou un Etat d’une demande d’avis consultatif de compatibilité de l’accord envisagé avec le traité CE.

Si une incompatibilité est constatée, l’autorisation de ratifier l’accord externe ne pourra intervenir qu’après révision du traité instituant la CE, par l’activation de l’art.48UE.

· La révision peut être provoquée par l’adhésion de nouveaux Etats. Originairement, les Communautés fondatrices étaient composées de 6 Etats (France, Allemagne, Italie, Belgique, Hollande, Luxembourg). Le 1/1/1973, la Grande-Bretagne, le Danemark et l’Irlande ont adhéré aux Communautés, tandis que la Norvège a refusé d’adhérer (référendum de 1972). La Grèce a adhéré le 1/1/1981, suivie par l’Espagne et le Portugal le 1/1/1986. Le 1/1/1995, l’Autriche, la Suède et la Finlande ont adhéré à l’UE, tandis que la Norvège a refusé pour la seconde fois (référendum de 1994).

De nouvelles adhésions sont programmées : des négociations d’adhésion sont lancées avec la Pologne, la République tchèque, la Hongrie, la Slovénie, l’Estonie et Chypre. D’autres négociations vont être lancées en 2000 avec notamment la Roumanie, la Lettonie, la Lituanie, la Bulgarie. Lors du Conseil Européen d’Helsinki du 10/12/1999, les membres de l’UE ont accepté le principe de l’ouverture de discussions en vue de la négociation avec la Turquie dans l’hypothèse d’une adhésion future.

Chaque adhésion provoque une révision des traités : le nombre de commissaires augmente, la pondération des voix et les questions de la majorité au sein du Conseil et du Parlement européen sont modifiées.

L’adhésion à l’UE implique de la part du nouvel Etat un certain nombre de sacrifices, des choix sociaux, économiques, juridiques, mais surtout des choix politiques, éthiques, et philosophico-politiques.

L’art.6UE montre que l’UE est fondée sur les principes de liberté, de démocratie, de respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ainsi que sur le principe de l’Etat de droit. L’adhésion à l’UE suppose une soumission à des valeurs et principes démocratiques et politiques qui sont supérieurs aux Etats, et qui constituent les valeurs communes de l’UE (« valeurs supra-constitutionnelles »).

En cas de manquement à ces principes, les art.6 et 7UE prévoient une procédure de suspension des droits conventionnels (droit de vote au sein du Conseil,…).
§3 : Prééminence des traités : la notion de Charte constitutionnelle.

A/ Affirmation de la notion de Charte Constitutionnelle.

Les traités communautaires ne sont pas des traités internationaux ordinaires : ils créent des institutions, instaurent un droit très élaboré, fixent des principes économiques, des politiques publiques et génèrent des principes politiques, éthiques, qui préfigurent à terme une certaine forme de fédéralisme européen.

La CJCE (juge de toute l’Union) a une vision très constructive de la nature juridique de ces traités.

CJCE, 29/11/1956 Fédéchar : l’avocat général Lagrange explique que le traité CECA bien que conclu sous la forme d’un traité international n’en constitue pas moins la « Charte des communautés ».

CJCE, 15/7/1964 Costa c/ E.N.E.L. : la CJCE considère que, bien que conclu sous la forme d’un traité international, le traité CEE reste une convention spécifique, particulière, autonome.

CJCE avis, 26/4/1977 : elle qualifie le traité CE de constitution interne (qualification jamais reprise).

CJCE, 23/4/1986 Parti Ecologiste « Les Verts » c/ Parlement Européen ; avis CJCE 14/12/1991 : elle qualifie le traité CE de « Charte constitutionnelle instituant une communauté de droits ». Cette notion de « communauté de droits » signifie que les traités constitutifs constituent des limites aux prérogatives des institutions, dont les actes sont susceptibles de contrôle juridictionnel, le Tribunal de Première Instance et la CJCE étant compétents pour apprécier leur validité (= constitutionnalisation des traités).

Cette qualification de « charte communautaire créant une communauté de droit », qui ne concerne que la CE, pourrait être étendue au traité UE.

B/ Les critères constitutifs de la notion de Charte constitutionnelle.

En droit constitutionnel, une « constitution » est :          – un acte juridique adopté selon une procédure particulière, généralement distincte de celle permettant l’adoption de la loi, et qui implique l’intervention du peuple (acte fondateur d’un Etat résultant de la volonté du peuple souverain).

– un ensemble de règles relatives à la distribution, au fonctionnement et à la dévolution des pouvoirs, attribuant des droits et libertés aux citoyens.

Ä Le critère formel de la Charte constitutionnelle : la procédure d’adoption du traité CE.

· Une première analyse permet de réfuter la thèse constitutionnelle, car l’adoption du traité CE ne résulte pas d’une participation volontaire du peuple, mais de la seule volonté des Etats. Formellement, la Charte constitutionnelle ne serait une constitution, mais un traité international. D’ailleurs, l’art.48UE relatif à la révision des traités ne prévoit pas l’intervention des peuples, alors que les Etats ont un rôle prédominant.

· Une deuxième thèse, partiellement convaincante, remarque que, depuis l’adoption du traité UE en 1992, on assiste progressivement à une participation des peuples des Etats au processus de révision des traités communautaires :        – participation indirecte : le Parlement européen participe à la procédure de révision du traité UE ; les révisions des traités communautaires nécessitent le plus souvent de réviser les constitutions nationales, ce qui fait intervenir le pouvoir constituant dérivé, c’est-à-dire les peuples souverains.

– participation directe : dans certains Etats (France,…), un référendum a été organisé afin d’autoriser les autorités gouvernementales à ratifier le Traité de Maastricht.

Þ Il y aurait donc un moment constitutionnel du point de vue procédural.

Ä Le critère matériel de la Charte constitutionnelle : le traité CE n’a pas la taille d’un constitution (314 articles, contre 89 dans la constitution française) et contient des dispositions économiques.

Toutefois, l’analyse du contenu du traité UE permet d’affirmer que l’on est matériellement en présence de dispositions de nature constitutionnelle :                                     – le traité UE énonce un certain nombre de droits fondamentaux tels que le principe de liberté, du respect des Droits de l’Homme, du respect de la démocratie, d’égalité entre les hommes et les femmes,… autant de principes qui, dans les Etats, relèvent de la constitution.

– les dispositions institutionnelles du traité UE distribuent les pouvoirs : les dispositions relatives au Parlement européen et à ses relations avec le Conseil et la Commission, sont très proches de celles que l’on rencontre dans les constitutions nationales.

– les traités communautaires attribuent des prérogatives transférées par les Etats, mais qui originairement, relevaient de la compétence du législateur national. En France, l’art.34 de la constitution confie au Parlement le soin de légiférer dans le domaine fiscal, mais la compétence en matière de TVA a été transférée aux Communautés : les dispositions du traité CE relatives au domaine fiscal sont en partie de nature constitutionnelle.

Þ L’analyse relative à la notion de Charte constitutionnelle est très séduisante, mais elle n’est que partiellement convaincante au regard des critères formels et matériels.

C/ La porté de la notion de Charte constitutionnelle.

· Portée symbolique de la notion de Charte constitutionnelle : elle permet d’appréhender le traité UE dans une perspective fédérative.

· Portée politique de la notion de Charte constitutionnelle : cette notion permet d’étatiser l’Union, plus que ne l’aurait permis le recours aux concepts d’OI et de convention internationale. En effet, alors que les anti-européens réduisent la spécificité de l’Union (vague OI très ambitieuse), les pro-européens insistent sur sa particularité intrinsèque, les valeurs qu’elle véhicule et son but, qui est à terme, un fédéralisme européen.

· Porté juridique de la notion de Charte constitutionnelle : elle constitue la norme de référence de l’Union. Les pouvoirs et compétences des institutions ne peuvent donc procéder que de ce texte, et les actes adoptés par les institutions lui seront juridiquement subordonnés.

La question de la supériorité du droit primaire sur le droit dérivé peut être réglée sans recourir à la notion de Charte constitutionnelle. Le traité UE est supérieur à toutes les normes adoptées par les institutions, car :       – il prévoit lui-même l’adoption de certaines normes, et règle leur régime juridique ;

– l’art.230CE prévoit que la CJCE peut apprécier la conformité du droit dérivé au droit primaire.