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Le principe général d’interdiction du recours à la force


§1 : L’évolution historique du droit de recours à la force.

1) La notion de guerre juste.

Au Moyen-Age, les Etats disposaient d’un droit souverain de recourir à la guerre, mais uniquement pour une cause juste, c’est-à-dire pour réparer un tort personnel causé à un Etat.

Il en découlait : – que les tiers étaient obligés d’intervenir pour défendre celui dont la cause était juste, ce qui conduisait à une extension inévitable des conflits.

– que l’Etat dont la cause était juste devait bénéficier d’un régime de faveur. A l’inverse, celui dont la cause était injuste faisait l’objet des traitements les plus cruels.

2) La notion de guerre publique solennelle.

La notion de guerre publique solennelle est introduite au XVIème. Grotius la consacre en 1625 : devant l’atrocité des guerres de son époque, il estime que, les Etats étant souverains, leurs prétentions ne peuvent qu’être justes. La guerre est donc juste des deux cotés, et les autres Etats n’ont pas à intervenir, ce qui limite l’extension des conflits. Cela marque aussi le début de la théorie du droit de neutralité des tiers.

Cette notion est définitivement acquise au XVIIIème, avec l’abandon de la notion de guerre juste. Vattel considère que la guerre ne peut être juste, mais tout au plus légitime si elle est licite, c’est-à-dire accomplie dans les formes : il doit s’agir d’une guerre entre Etats souverains, précédée d’une déclaration de guerre, et les Etats doivent avoir une raison de faire la guerre (réparation d’un tort).

Þ L’idée de sanction disparaît. C’est le début du droit humanitaire, à savoir un droit applicable en temps de guerre, et qui tend à protéger les individus et à limiter les moyens utilisés.

La notion de guerre solennelle est adoptée, car elle est adaptée à la forme décentralisée de la société internationale : la notion de guerre juste aurait nécessité qu’un interprète impartial précise ce qui est juste.

Ce modèle du droit de recourir à la guerre va s’imposer jusqu’en 1945, puis sera limité. Toutefois, les Etats tiers au conflit disposaient parfois, en vertu d’une convention internationale, d’un droit d’intervention ce qui fait que les conflits ont continué à s’étendre aux tiers.

3) Les apports du Pacte de la SDN et du Pacte Briand-Kellogg.

Le Pacte de la SDN, annexé au traité de Versailles du 18/6/1919 limite le droit de recourir à la force.

Il contient : – un principe nouveau de limitation des armements (parallèle avec le maintien de la paix).

– l’interdiction solennelle de la guerre d’agression (interdiction de la guerre discrétionnaire).

– une limitation du droit de recourir à la guerre. Ce n’est pas une interdiction définitive, car le droit de légitime défense est reconnu (droit de faire la guerre pour se défendre).

En vertu de ce Pacte, les Etats contractants devaient préalablement au recours à la guerre, tenter de régler pacifiquement leur différend par le biais d’un règlement juridictionnel (recours à la CPJI ou à l’arbitrage) ou de la saisine du Conseil de la SDN. Lorsque ce Conseil était saisi, il devait proposer une solution amiable aux belligérants, et, en cas d’échec, il devait publier un rapport (dénué de force obligatoire) dans lequel il se prononçait sur le différend en cause. Après cette publication, les Etats devaient respecter un moratoire de 3 mois, puis avaient le droit de recourir à la guerre pour régler leur différend.

Le Pacte Briand-Kellogg du 26/8/1928 (« Pacte général de renonciation à la guerre ») est beaucoup plus sévère : il prononce une interdiction définitive du droit de recourir à la force (art.1). L’art.2 prévoyait une obligation de règlement pacifique du différend. Ce pacte prévoyait aussi la légitime défense.

Þ Ces pactes ne sont que des conventions internationales, soumises au principe d’effet relatif. Or, peu d’Etats y étaient parties : ils n’ont donc pas constitué un obstacle juridique à la deuxième guerre mondiale.

4) Le principe d’interdiction du recours à la force depuis 1945.

La Charte des Nations-Unies énonce le principe de l’interdiction du recours à la force à l’art.2§4, tandis que l’art.2§3 prévoit une obligation de règlement pacifique.

La CIJ a reconnu que ce principe existait en tant que coutume internationale, dans ses décisions de 1984 et 1986 relatives à l’affaire des Activités militaires et paramilitaires des USA au Nicaragua.

Ce principe a aussi été repris dans des actes unilatéraux. La résolution 26/25 de l’AGONU du 24/10/1970 « relative aux principes du DI touchant les relations amicales et la coopération entre Etats conformément à la Charte des Nations-Unies », adoptée pour éclairer les points obscurs de cette Charte, a réitéré ce principe, en le qualifiant de fondamental et en affirmant qu’il lie tous les Etats.

De très nombreux instruments régionaux et locaux, notamment conventionnels ont réaffirmé ce principe à partir de 1945. C’est notamment le cas de l’Acte final d’Helsinki (1975) et de la Charte de Paris (1990) qui complète cet acte final ; de la Ligue Arabe ; de l’Organisation de l’Unité Africaine ;…
§2 : Le contenu du principe d’interdiction du droit de recourir à la force.

Le recours à la force est interdit, afin de respecter les buts des Nations-Unies énoncés à l’art.1 de la Charte : le maintien de la paix et de la sécurité internationale, le développement de relations amicales entre Etats, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la coopération internationale et le respect des Droits de l’Homme. L’art.2§4 interdit le recours à la force contre l’intégrité du territoire ou l’indépendance politique d’un Etat.

Le principe de l’interdiction du recours à la force s’adresse aux Etats en tant que sujets de DI : il concerne tous les Etats, membres ou non de l’ONU, mais aussi, par interprétation, les OI. Seule l’ONU peut recourir à la force, et uniquement dans le cadre des compétences prévues au Chapitre 7.

La notion de force est ambiguë : englobe-t-elle outre la force armée, les forces économique ou politique ?

La prohibition concerne l’emploi de la force, mais aussi la menace de son emploi : bien qu’elle maintienne la paix, la stratégie de dissuasion nucléaire serait donc illicite. Avis CIJ, 1996 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires : la menace d’utilisation de l’arme nucléaire n’est pas illicite au regard du DI.

Au sens des rédacteurs de l’art.2§4, seul l’usage international de la force était interdit : la répression par la force d’une guerre civile était licite car l’Etat est souverain sur son territoire. Toutefois, depuis quelques années, certains conflits internes tendent à s’internationaliser, et sont donc susceptibles d’entrer dans le champ d’application de cet art.2§4. C’est notamment le cas du conflit russo-tchétchène.
§3 : Les exceptions à ce principe d’interdiction du droit de recourir à la guerre.

1) La légitime défense et le maintien de la paix dans le cadre de l’ONU.

Ces deux exceptions sont totalement licites au regard du DI (cf. Sections 2 et 3).

2) L’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Un peuple colonisé peut utiliser la force armée contre l’Etat colonisateur pour obtenir l’indépendance.

La déclaration du 14/12/1960 sur l’octroi de l’indépendance aux peuples coloniaux (résolution 15/14 de l’AGONU) rappelle que le droit à la décolonisation est un principe absolu opposable à tous les Etats, et fondé sur le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. CIJ, 30/6/1995 Timor Oriental : ce droit est opposable erga omnes et applicable omnium (crée des droits pour tous).

Il faut : – un peuple : une entité suffisamment homogène pour constituer une unité (¹ tribus dispersées).

– un peuple dans une situation coloniale : il doit être situé sur un territoire éloigné de la métropole et être placé sous la dépendance de celle-ci.

– que l’accession à l’indépendance n’a pas pu se faire pacifiquement.

Cette exception semble ne plus recevoir d’application  : aucun des peuples qui revendiquent le droit de disposer d’eux-mêmes n’est juridiquement considéré comme colonisé. L’application de ce principe leur est donc refusée (ex : les peuples issus de l’éclatement des pays socialistes à l’Est,…).

Exemple d’application : les Nations-Unies considèrent que le Timor Oriental est un peuple sous dépendance coloniale non pas de l’Indonésie, mais du Portugal (l’ancienne puissance colonisatrice). Le Portugal avait accepté en 1977 que le Timor Oriental accède à l’indépendance, mais lorsqu’il s’est retiré, l’Indonésie a envahi le Timor Oriental, et en a fait une de ses provinces. L’ONU a fait pression sur l’Indonésie pour organiser un référendum sur l’indépendance du Timor Oriental, mais les milices pro-indonésiennes et l’armée indonésienne ont coupé toute rébellion visant l’accès à l’indépendance. La communauté internationale a rappelé que le peuple timorais dispose du droit de disposer de lui-même, et a envoyé une opération de maintien de la paix pour rétablir la situation.

3) Les interventions armées de la part d’un Etat ou d’un groupe d’Etats.

Il s’agit d’interventions unilatérales : les forces d’un Etat ou d’un groupe d’Etats pénètrent sur le territoire d’un autre Etat pour régler une situation, sans que cela ne se fasse dans le cadre de l’ONU.

Trois cas : – l’intervention d’un Etat pendant une guerre civile, afin de protéger ses nationaux. L’Etat qui intervient invoque alors son droit souverain de protéger ses ressortissants (compétence personnelle).

– l’intervention d’un Etat pour la réparation d’un droit lésé : un Etat intervient car un autre Etat a violé l’un de ses droits fondamentaux, ou a porté atteinte à son honneur (menaces, insultes,…).

– l’intervention d’humanité : l’intervention armée vise à protéger les nationaux de l’Etat sur le territoire duquel l’intervention a lieu, des agissements de leur propre Etat.

Þ Au regard du DI, aucune de ces interventions n’est licite, en ce qu’elles vont à l’encontre du principe coutumier de non-intervention, consacré comme principe fondamental par la CIJ dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires des USA au Nicaragua et contre celui-ci.

Toutefois, certains auteurs dont Dominique Carreau, estiment que toutes ces interventions ne peuvent pas être déclarées illicites, car il y en a beaucoup qui sont acceptées par tous les Etats de la communauté internationale (en matière de Droit de l’Homme, de protection des personnes,…). Les interventions ponctuelles et limitées seraient donc licites en DI. Néanmoins, si la pratique nécessaire à la formation d’une coutume existe, l’opinio juris n’est pas unanime : certains Etats sont favorables à cette interprétation (USA, GB, Australie, Nouvelle-Zélande,…) ; d’autres sont contre (Etats européens et du tiers-monde). Cette coutume est peut-être en cours de formation, mais aujourd’hui, les interventions sont toutes illicites.

L’intervention armée sur le territoire d’un Etat ne doit pas être confondue avec la coopération de force étrangère avec l’accord juridique de l’Etat en question.